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le feu des roussi.

Une minute après, la berge était coquettement penchée sur la vague et volait à tire-d’aile vers la pointe du banc de Paspébiac.

On était alors vers les derniers jours de mai : il fait encore froid à cette époque, surtout par une grosse brise, et rien de surprenant si les mains s’engourdissaient facilement. Daniel ne le savait bien que trop ; car il se soufflait dans les doigts depuis quelque temps, lorsque tout-à-coup, portant la main à sa poche, il en retira une bouteille de rhum.

Il la tendit triomphalement à Cyprien :

— Prends un coup, mon homme, ça réchauffe, et ça n’est pas l’occasion qui manque par cette température-ci. Diable ! qui a eu l’idée d’appeler cette baie, la baie des Chaleurs ?

— Garde pour toi, Daniel ; je n’en prends pas, merci ! Veille toujours à l’écoute ! Et il secoua tristement sa pipe par-dessus bord de l’air d’un homme qui ne se sent pas le cœur à l’aise.

Cependant la brise montait grand train. De minute en minute, le temps se chagrinait ; les nuages gris étaient devenus noirs comme de l’encre, et pour cette nuit-là la mer ne présageait rien de bon. Tout-à-coup la berge prêta le flanc, et une vague plus grosse que les autres, arrivant en ce moment, couvrit Cyprien des pieds à la tête.

Roussi tint bon tout de même ; sa main n’avait pas lâché la barre ; ses habits ruisselaient, le froid augmentait, et Daniel qui avait à demi esquivé ce coup