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mon ami jean.

Après tout, le malheur de l’un devait-il réagir ainsi sur le bonheur de l’autre ?

Dès cet instant de réflexion je compris que j’étais dompté, et insensiblement je me sentis devenir plus raisonnable.

Ce fut même moi qui commençai à parler de sa belle Julie à l’ami Jean, et je vis à l’éclair qui passa dans ses yeux, tout le plaisir qu’il ressentait à m’entendre causer ainsi. À nous deux, nous nous mettions en voyage ; nous explorions tout à notre aise ce petit cœur de fiancée, si plein de bonnes qualités et de douce affection. À chaque instant, c’étaient des découvertes qui nous faisaient bondir d’aise, et cela me fit prendre tellement l’habitude de Julie que je m’étais presque mis en tête qu’elle était ma sœur.

Cela dura jusqu’au jour où Jean s’en vint m’annoncer d’une voix toute émue :

— Henri, c’est dans trois semaines que se fera la noce !

Alors, je sentis ma poitrine se serrer comme la première fois, et je vis bien qu’une parcelle de l’âme de ma morte chérie y vivait encore.

Jean, comme toutes les natures d’artistes, ne savait pas avoir d’ordre ; ce qui était pourtant bien essentiel pour la conduite de sa ferme. En mourant, son père la lui avait léguée grevée d’une hypothèque assez lourde, et c’était tout ce qu’il pouvait faire, lorsqu’à la Saint-Sylvestre il parvenait à joindre les deux bouts ensemble.