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à la brunante

le docteur Duvert. Et puis, le gardien du phare, était-ce un fin garçon, ça ? Si le Saint-Laurent avait été du rhum, dans dix ans d’ici il n’y aurait plus eu besoin de lumières ; les vaisseaux s’en seraient allés faire naufrage ailleurs ; car tout aurait été bu.

— Ah ! pour ça je suis de ton avis ; mais en fait de gardien, je lui préférais encore le grand Comeau de la Trinité. Il est vrai qu’à jeun il n’était pas commode. Comeau avait alors des colères terribles, mais quand nous nous enfermions dans sa chambre à coucher, et qu’il tirait le long de la muraille une petite table ronde recouverte de verres et de bouteilles, ah ! le beau temps revenait alors, et si ce n’avait été ce satané cercueil qu’il avait fait dresser tout droit, debout, le long de la muraille, j’aurais pu porter la boisson presqu’autant que maître Comeau.[1]

— Pas si bête, de m’approcher de Comeau pour me faire tuer et enterrer sur une île déserte, ah ! bien, j’ai toujours eu d’autre chose à faire, Dieu, merci. Mais le père et la mère Bédard, du phare de la Pointe des Monts, ça c’était du bon butin ! Tu dois te rappeler cette grosse maman qui était si

  1. Je n’ai pas besoin de dire que tous ces détails sont rigoureusement vrais. Je les tiens du député de Gaspé, M. le commandant Fortin, ministre des Terres de la Couronne, qui a bien connu Comeau et la famille de l’excentrique Bédard, frère du juge de ce nom. — Personne ne sait autant son fleuve Saint-Laurent par cœur que M. Fortin. Entr’autres détails intéressants, il me disait qu’un jour, — il était en Bretagne — en lisant un livre destiné aux caboteurs français, il avait découvert une espèce de contrefaçon belge de notre beau golfe. Sur la côte armoricaine se cachait un petit port nommé Moisic, et à quelque distance de là se trouvaient les Sept-Îles.