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à la brunante.

ce temps, sans s’en douter le moins du monde, elle était mise à l’épreuve par maître Martin, que l’on avait souvent blâmé d’avoir voulu donner à sa fille, paysanne comme les autres, une éducation de demoiselle.

À la grande satisfaction des joues rubicondes de monsieur son père, Rose n’avait trop abusé ni de Chopin, ni de Wagner, car Martin, pour mieux éblouir ses collègues du conseil municipal, avait voulu avoir son piano, un Steinway superbe. Toujours ses bas de laine étaient trouvés chaque matin, délicatement ravaudés, et douillettement pelotonnés sur la courte pointe de son lit à baldequin ; le déjeuner et le dîner arrivaient à point, précédés d’un parfum de cuisine des plus appétissants ; vingt minutes après les grâces, la faïence à fond blanc, ramagée de larges fleurs bleues et rouges, brillait proprette et luisante dans l’armoire vitrée de la salle, et puis Rose, tout en s’acquittant à merveille de ses devoirs de ménagère, savait si bien lire et commenter la gazette au grave conseiller, elle était si bonne, si sage, si avenante, que maître Martin n’avait pu résister à la tentation de la montrer à ses compères villageois.

Ce soir là, on dansait donc à cœur joie dans la maison des Bernard, vieux débris de l’ancienne architecture française, laissant entrevoir au clair de la lune, sa large toiture rouge, appuyée sur de solides murs en pierre blanchie à la chaux, dont la couleur mate était coupée çà et là par les troncs raides et noueux d’une rangée de peupliers, qui laissaient voir à