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LES ÎLES DANS

sibles. Tout à coup l’ordre fut donné de virer de bord. Notre capitaine venait d’avoir la première attaque de cette terrible maladie — un ramollissement cérébral — qui devait l’emporter deux ans après. Sous les premières étreintes de ce mal étrange, cette tête intelligente avait senti sa mémoire vaciller. Cet excellent marin s’était trompé dans ses calculs, et au lieu du groupe de la Madeleine, nous avions devant nous les côtes montagneuses de Terreneuve pivelées de larges taches de neige. Mis en présence de cette barrière inattendue, le Napoléon III fit volte-face. Bientôt nous eûmes sous notre beaupré les falaises escarpées de l’île Saint-Paul, et nous aperçûmes l’un de ces phares fièrement campé sur un mamelon gris.

Cette île, qui a trois milles, est jetée à l’entrée du golfe Saint-Laurent, entre les extrémités sud-ouest de Terreneuve et nord du Cap Breton. Elle se compose de deux ilôts, séparés l’un de l’autre par un bras de mer si étroit, que vus du pont d’un navire ces deux fragments semblent ne faire qu’un tout compact. La plus grande hauteur de Saint-Paul, est de quatre cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer. Le sol est composé de roches appartenant aux formations primaires ; et comme l’île est coupée à pic, à peine présente-t-elle aux bateaux-pêcheurs deux abris passables, les anses de la Trinité et de l’Atlantique. Encore, pour y tenir, faut-il que le vent se lève de terre. Bien des naufrages terribles ont eu lieu sur cette île « escarpée et sans bord, » où vivotent à peine quelques épinettes rabougries, sous lesquelles se cachent une demi-douzaine de renards, arrivés sur l’île, « on n’a jamais su comment. »