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LES ÎLES DANS

commandant. Le lendemain elle s’arrêtait au milieu de la baie. Une foule énorme était allée au-devant du cercueil qui, couvert du drapeau anglais, était porté sur les épaules de six marins de choix. Les cordons du poêle étaient tenus par les consuls et les notables : le canon grondait de minute en minute, et le deuil qui assombrissait toutes ces figures de pêcheurs, au teint hâlé par le vent de la mer, donnait bien la mesure de la perte qu’ils venaient de faire.

Puis, tout en arpentant le banc de quart, mon esprit me ramenait à Québec, où la modestie qui avait présidé à la vie de M. Têtu avait jeté un dernier reflet sur ses funérailles.

Ici, plus de garde d’honneur, plus de clairons, plus de fanfares de deuil : mais un long cortège d’amis se déroulant en file, sous un ciel gris et sombre d’automne, derrière un modeste cercueil sur lequel reposaient les insignes de lieutenant de vaisseau.

Au cimetière, un temps d’arrêt au bord d’une fosse que les croque-morts avaient oublié de faire assez large ; et ce bruit mat et mystérieux de la terre qui s’égrène et croule de la pelle du fossoyeur sur une tombe, où gît une parcelle du cœur de ceux qui se groupent silencieux autour du trou béant.

La mer rapproche de Dieu. Ce soir-là — et je n’ai pas besoin de l’écrire ici — une fervente prière fut dite pour l’âme de celui qui dort maintenant, à quelques pas de la fosse des pauvres, au pied d’une humble croix du cimetière de Belmont : de cette croix qui sera toujours pour le croyant ce qu’était « l’ancre de salut » pour le commandant de la Canadienne, un gage de foi et d’espérance en la miséricorde de son Dieu.