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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/67

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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

Au milieu de ces retours vers le passé, nous avions quitté l’hospitalière baie des Sept-Îles. Elle commençait à s’effacer derrière nous, et le cap tourné vers l’Anticosti, nous tanguions et nous nous laissions emporter sur le dos flexible de la houle du large. Chacun avait regagné son cadre, excepté les officiers de service et le gardien du phare de la Pointe-aux-Bruyères, mon fidèle conteur Gagnier, qui ne tarissait plus, une fois qu’il était mis à même de nous dire quelques-uns des terribles drames de son île.

— Avez-vous entendu parler de la catastrophe de la baie du Renard ? me dit-il, en allumant un cigare.

— Non, mon ami. Où se trouve cette baie ?

— À quelque vingt milles de mon phare, endroit où j’ai bien hâte d’arriver.

— Et que s’est-il donc passé à la baie du Renard ?

— Quelque chose qui se présente assez souvent sur notre île. Il y a de cela assez longtemps, au printemps de 1820, un trappeur, en visitant ses pièges, fit la trouvaille d’une corde qui pendait le long d’un rocher. Il la tira à lui. Une cloche de navire se mit aussitôt à tinter. Le premier mouvement du chasseur fut celui de la frayeur ; mais après avoir réfléchi, il fit le tour du plateau, et se trouva en face de trente cadavres. C’était tout ce qui restait de l’équipage et des passagers du vapeur le Granicus. Jetés à la côte vers la fin du mois de Novembre 1818, non-seulement ces malheureux avaient eu à combattre contre le froid ; mais la faim s’était mise à les harceler sans pitié. La lutte avait été longue, à en juger par les tristes reliefs qui entouraient ces morts. Dans un four, construit tant bien que mal, à quelques pas de là, gisait la