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LES ÎLES DANS

cette navigation de conserve fut affreuse. À peine gagnait-on chaque jour deux, ou trois lieues qu’il fallait faire à la rame, et par un froid intensif. Le soir, on dormait sur la neige : et pour toute nourriture ces pauvres abandonnés n’avaient qu’un peu de morue sèche, et quelques gouttes de colle de farine détrempée dans de l’eau de neige.

Le 2 décembre, le temps se mit au beau. Une petite brise soufflait sans âpreté, et la joie renaissait sur ces figures hâves et décharnées, lorsqu’en voulant doubler la pointe sud-ouest, la chaloupe qui allait à la voile, fit la rencontre d’une houle affreuse. En manœuvrant pour lui échapper, elle perdit le canot de vue. Plus tard on sut ce qu’était devenu ce dernier : il s’était laissé affaler. Mais comme pour le quart d’heure, il fallait faire terre au plus vite, on finit par y parvenir à deux lieues de là, au milieu de mille précautions. Un grand feu fut allumé sur la côte, pour indiquer aux retardataires où se trouvaient les gens de M. de Freneuse : puis, après avoir mangé un peu de colle, ils s’endormirent dans l’eau et dans la neige fondante, pour n’être réveillés que par une tempête terrible. Dès ses premières bourrasques, elle jeta la chaloupe à la côte. Il fallut alors s’occuper à la réparer de suite ; mais ce contre-temps eut son bon côté. Deux renards qui étaient venus rôder dans les environs furent pris au piège, et cette viande fraîche devint par la suite d’un grand secours.

Dès le 7 décembre, M. de Freneuse put reprendre la mer, mais le cœur navré. Malgré de nombreuses reconnaissances, il n’avait pu découvrir aucune trace de son canot.

À peine la chaloupe eut-elle fait trois heures