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LES ÎLES DANS

tions, les épreuves ne faisaient guère défaut. La vermine rongeait ces malheureux qui n’avaient qu’un change pour tous vêtements. La fumée des huttes et les éblouissantes blancheurs de la neige donnaient à la plupart de douloureuses ophtalmies ; et la mauvaise nourriture, jointe à l’eau de neige, avaient engendré la constipation et le diabète, sans faire, pour cela, ployer d’un cran l’énergie de ces hommes de fer.

Le 24 décembre, le P. Crespel fit dégeler quelques gouttes de vin. La Noël approchait ; et il se préparait à dire la messe de minuit. Elle fut célébrée sans pompe, ni ornements, dans la plus grande des cabanes. Ce dut être un spectacle sublime que de voir tous ces abandonnés, se recueillir au milieu des solitudes de l’Anticosti, et dans leur dénuement sans exemple, se rapprocher d’un enfant nu et couché dans une étable, pour mêler leurs larmes aux siennes, et pour l’y adorer.

L’année 1737 débuta pour ces pauvres gens d’une manière terrible. Dès l’aube du jour de l’an, Foucault envoyé à la découverte, revint avec la poignante nouvelle que la chaloupe avait été enlevée par les glaces. Pendant cinq jours, ce ne furent que gémissements et lamentations. Tout le monde se sentait perdu. Chacun voulait mourir. L’esprit de suicide passait et repassait dans ces cerveaux troublés par tant de malheurs, et le P. Crespel ne cessa, pendant ce temps, de leur démontrer la grandeur de l’apostolat de la souffrance : cette seule voie que Dieu avait prise pour racheter le genre humain. Il les supplia de se confier en la miséricorde divine ; célébra le jour des Rois une seconde messe du Saint-Esprit, pour le prier de donner