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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

vernement l’y avait envoyé, avec l’ordre de vacciner tous ceux qui se présenteraient à lui ; et comme il y avait chômage ce jour-là, armés chacun d’un long bâton ramassé sur la grève, nous étions allés pousser une reconnaissance à deux milles du phare, à la pointe des Anglais. C’est là qu’était, il n’y a pas longtemps, le siège principal de la compagnie Forsyth. Nous en avions déjà entendu dire monts et merveilles. Ces utopistes de la finance voulaient, ni plus ni moins, relier la baie d’Ellis à celle du Renard, par une route macadamisée longue de 120 milles. Des embranchements de chemin de fer sillonneraient l’île en tous sens. Le remuement de capitaux qu’entraînerait l’ouverture de cette voie, ferait de la pointe ouest à la pointe aux Bruyères un vaste champ en culture, et l’Anticosti réalisait la première, ce rêve de l’ami Dupont, qu’un poète a rendu avec tant de verve :

Là, de sa roue en feu le coche humanitaire
Usera jusqu’aux os les muscles de la terre ;
Du haut de ce vaisseau les hommes stupéfaits
Ne verront qu’une mer de choux et de navets.
Le monde sera propre et net comme une écuelle ;
L’humanitairerie en fera sa gamelle
Et le globe rasé, sans barbe ni cheveux,
Comme un grand potiron roulera dans les cieux.

Nous arrivâmes à cet Eldorado par un sentier couvert de pierre à chaux, une des seules richesses de l’île. De fois à autres, nous étions bien obligés de passer à gué quelques ruisseaux ; ou, appuyés sur nos gourdins, de renouveler le saut périlleux du vaillant compagnon de Cortès,