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damnable toute doctrine qui leur semblait s’écarter tant soit peu de l’obéissance aveugle au saint-siége ou tendre vers la protestante. Les jésuites, par la pente nécessaire de leur institution, en étaient venus à se regarder comme la personnification même de la papauté. Non-seulement tout hérétique était leur adversaire ; mais quiconque devenait leur adversaire était réputé par eux hérétique. Ils avaient la prétention de l’infaillibilité : ils voulaient penser tout seuls ; avoir la science et l’esprit tout seuls ; la charité et la vérité tout seuls ; faire des livres tout seuls, et gouverner tout seuls les consciences des rois, des grands et du peuple.

Voilà pourquoi la raison sublime de Descartes fut réfutée par le singulier argument des arrêts du conseil d’État et des lettres de cachet ; pourquoi sa philosophie, poursuivie et proscrite d’université en université, ne trouva pas même un refuge dans les vénérables cellules des prêtres de l’Oratoire ; pourquoi Galilée fut enfermé dans les cachots de l’inquisition, l’abbé de Saint-Cyran dans le donjon de Vincennes et Sacy à la Bastille ; voilà pourquoi Port-Royal fut persécuté et anéanti. Cette pieuse réunion était soumise aux lois du pays ; elle respectait le chef de l’État et celui de l’Église. Quel était donc son crime ? C’était de former un troupeau à part et de marcher dans le sentier solitaire d’une foi rigide et d’une sorte de réforme orthodoxe.

Ainsi, sans s’avouer peut-être à lui-même toute l’étendue de son œuvre, Pascal, en attaquant la morale et la politique des jésuites, lui qui inclinait sa raison supérieure devant la foi, a défendu contre le pouvoir absolu de la papauté les nobles prérogatives de cette même raison, et les Lettres provinciales sont plus que le premier chef-d’œuvre de la prose