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pour l’éclosion aux hasards de l’ambiance, et n’assurent leur pérennité que par la multiplicité de leur ovulation. Les oiseaux pondent des œufs peu nombreux, mais assurent leur éclosion par une couvaison assidue quoique soumise encore à bien des vicissitudes extérieures. Enfin les mammifères pondent en dedans d’eux-mêmes, couvent le produit de la conception dans leur propre corps et ne les mettent au jour que dans un état complet de développement. Un ordre de mammifères, les marsupiaux, se trouvent dans un stade intermédiaire : ils font des petits incomplètement formés et les insèrent dans une poche abdominale jusqu’à leur achèvement parfait.

Dès lors, puisque l’évolution se définit un phénomène continu, comment ne trouve-t-on que si peu d’exemples de transition et de séries zoologiques entières, et encore dont la plupart appartiennent aux mollusques, aux crustacés, aux insectes ? Que sont devenues les innombrables formes de passage des reptiles aux singes et aux hommes ? Elles disparurent sans laisser de traces connues à ce jour, parce que probablement, mal desservies par quelque point de leur structure externe ou interne, elles ne résistèrent pas comme les types plus évolués et préservés par leurs variations mêmes. D’autre part, sous nos yeux, l’homme se montre le très grand destructeur d’espèces animales dont une multitude sont ainsi perdues à jamais. Il a pu exercer cette activité néfaste contre ses prédécesseurs plus ou moins immédiats. Enfin, délivrée des doctrines scolastiques, la science biologique n’en est qu’à ses premiers balbutiements ; aux notions déjà connues et bien établies combien n’en ajoutera-t-elle pas d’autres ?

Déjà l’étude des animaux fossiles, ou « paléontologie » fournit une riche moisson d’observations positives. Beaucoup de formes intermédiaires, éteintes aujourd’hui, sont découvertes dans les diverses couches géologiques conservatrices de leurs squelettes ou carapaces. C’est ainsi qu’il a été possible de retrouver l’archæoptéryx, le ptérodactyle, des oiseaux à dents, types de passage entre les reptiles et les oiseaux ; de reconstituer en totalité la lignée ancestrale des chevaux et des éléphants. Cependant, le nombre des fossiles aujourd’hui connus, paraît infime à côté de celui des groupes zoologiques évanouis sans laisser de vestiges. Mais, outre que les êtres à corps mou ne produisent ni ossements ni empreintes, tous les terrains ne sont pas également aptes à la fossilisation, qui exige une somme de conditions physiques, chimiques, thermiques difficile à rencontrer. Par ailleurs, les espèces les plus capables de variation, de développement et par conséquent d’extension couvrirent une aire énorme de dispersion ; leurs débris subterrestres se répartissent sur un territoire immense. Et à peine si les biologistes géologues ont prospecté quelques kilomètres carrés.

Quant à la rareté des documents fossiles humains, le biologiste américain Dr  George A. Dorsey l’évêque de très heureuse façon : « À moins d’être bien protégé ou d’être déposé soit dans des pays sans pluie comme le Pérou et L’Égypte, soit dans ce frigorifique qu’est le sol arctique, le corps succombe bien vite aux attaques des bactéries de la pourriture ou aux dents des loups et des hyènes. Pour que les os et autres tissus soient remplacés par des minéraux qui les pétrifient ou les fossilisent, il faut tout un ensemble de circonstances. Plus sage est l’animal, moins il y a de probabilités qu’il se laisse prendre dans les sables mouvants ou entraîner par le gravier et les boues des fleuves. L’homme primitif n’était pas plus enthousiaste que nous de se faire enterrer vivant. » (Dr  A. Dorsey : « Why we behave like Human Beings » )

La distribution des fossiles dans les couches géologiques s’avère mathématiquement liée à l’âge des terrains ;

et la même classe d’animaux peuple les gisements d’une même époque. Les couches anciennes montrent des poissons ; les moyennes, des amphibies, des reptiles et des oiseaux ; les plus récentes des mammifères. Chaque ère géologique se caractérise par une faune et une flore déterminées, offrant ainsi la preuve de la sériation des espèces, depuis la période primaire jusqu’aux temps modernes s’il n’y a pas de fossiles dans les terrains plus anciens, antérieurs au primaire, c’est que les êtres primitifs, unicellulaires ou paucicellulaires pour la plupart, ne possédaient pas une organisation assez forte pour supporter la température élevée des roches profondes et la formidable pression exercée par les couches supérieures.

La corrélation entre le genre de fossiles et l’assise qui le contient présente une telle constance qu’elle sert à son tour à identifier les terrains et à reconnaître les couches contemporaines dans les diverses contrées du globe. Dans le tableau de l’évolution de la terre, la paléontologie illustre la statégraphie.

L’apparition de formes nouvelles à chaque âge de la préhistoire est tout à fait incompatible avec la version d’une création unique. Aussi quelque adeptes de cette doctrine théologique allèrent-ils jusqu’à admettre vingt-sept créations successives. Pareille concession ne satisfait cependant pas l’esprit critique, car elle ne suffit pas à expliquer cette circonstance, que chaque assise d’une même période renferme quelquefois des espèces distinctes quoique de parenté évidente. Seule l’hypothèse d’une création continue serait soutenable, si elle ne se trouvait pas absurde par définition : une création continue est, ni plus ni moins, une évolution. De la masse variée de ses animaux pétrifiés, le monde souterrain écrase le créationnisme et atteste le magnifique phénomène de l’évolution.

Un troisième faisceau de preuves transformistes est fourni par l’ « embryogénie », ou étude des états successifs de développement parcourus par tout être vivant durant sa vie d’embryon, depuis la fécondation de son œuf originel jusqu’à sa formation complète et définitive. Souvent ce développement se montre progressif, consiste en l’apparition et la croissance régulière des tissus et appareils du sujet parfait. Mais un certain nombre d’embryons acquièrent à un moment donné des organes qui disparaissent ensuite et n’existent pas chez l’adulte. D’autres, surtout des invertébrés, atteignent un stade déterminé et normal de larve, après lequel ils subissent une refonte brusque de l’organisme, une métamorphose régressive qui leur impose une structure définitive inférieure à celle de leur forme larvaire. L’observation révèle que les organes transitoires et les transformations subites des embryons reproduisent des organes et des formes présentés par des espèces voisines et parentes, vivantes ou éteintes, suivant ce que l’on a appelé la loi de Patrogonie : « Dans son développement embryogénique, tout individu revêt successivement les diverses formes par lesquelles a passé son espèce pour arriver à son état actuel. »

Néanmoins, malgré ses allures lapidaires, cet énoncé biogénétique contient une valeur d’indication et non d’expression absolue. De toute évidence, pour parcourir un à un tous les cycles ancestraux, l’embryon prolongerait son existence pendant un chiffre d’années équivalent à celui des siècles d’évolution progressive. Plus simplement, il réalise en un raccourci saisissant les principales étapes du cycle évolutif, en esquissant quelques-unes, en brûlant d’autres. L’embryon humain possède, à intervalles échelonnés, une notocorde comme les amphioxus, un cœur tubuleux à deux cavités comme les poissons, des pentes brachiales comme les amphibiens, mais sans avoir jamais l’organisation intégrale, d’un amphioxus, d’un poisson, d’un amphibien. Il n’en