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est pas moins vrai que, en son embryogénie fragmentaire, il reconstitue la série biologique déjà délimitée par l’anatomie comparée et la paléontologie. De ce fait que l’étude scientifique a retrouvé dans les embryons des mammifères quelques-unes des particularités déjà relevées dans les embryons des invertébrés, des poissons, des amphibiens et des reptiles, il est légitime de conclure à une filiation de ces classes et de leurs espèces.

La métamorphose du têtard-poisson en grenouille amphibien vient encore à l’appui de la thèse embryogénique. Tout aussi suggestive se montre l’histoire naturelle de l’ascidie, appelée vulgairement outre de mer, petit animal fixé, considéré comme un mollusque jusqu’au jour de la découverte de sa larve libre, organisée comme un vertébré avec une corde dorsale et un système nerveux mais subissant une métamorphose régressive dès l’instant de sa fixation.

Qui douterait, après ces exemples et cent autres, de la force de la thèse évolutionniste, affirmant la constance profonde et la continuité parfaite de la matière vivante organisée sous des apparences dissemblables ? A l’exception de quelques tardigrades entêtés de théisme, les savants du monde entier s’accordent à reconnaître la réalité du transformisme.

La conception des causes et facteurs de l’évolution ne soulève pas la même unanimité.

Les tout premiers évolutionnistes, Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire, invoquaient surtout l’influence du milieu. La chaleur, le froid, le soleil, la sécheresse, l’humidité, ensemble de conditions extérieures changeantes par nature, exercent une action permanente mais variable sur les organismes qui doivent à leur tour se modifier pour y réagir efficacement et ne pas disparaître.

À ces causes de variation Lamarck en ajoute d’autres : le régime, ou manière générale dont se comporte l’être vivant pour sa nutrition, sa croissance et sa reproduction ; les habitudes qu’il contracte pour satisfaire aux besoins nécessités par le régime : le développement des organes le plus souvent employés ; et au contraire l’atrophie de ceux restant inutilisés (première loi de Lamarck : loi de l’usage et de la désuétude ou loi d’adaptation). Si le régime, les habitudes subissent des changements, ceux-ci retentissent sur l’individu et le transforment dans une ou plusieurs de ses parties.

Ces modifications, pourvu qu’elles soient communes aux deux sexes, sont transmises par l’individu à ses descendants (deuxième loi de Lamarck : loi d’hérédité). Continuant à agir sur la série des générations successives soit dans le sens de l’augmentation soit dans le sens de la diminution, elles arrivent à former des organes nouveaux adaptés à des fonctions déterminées et à supprimer les organes inutiles. Il s’est créé une nouvelle espèce d’individus.

Ainsi donc, pour Lamarck et ses adeptes le milieu, le régime, les adaptations imposent les variations. L’hérédité les transmet, les amplifie, puis les fixe temporairement ; elle commande l’évolution.

S’inspirant de la sélection artificielle communément pratiquée par les éleveurs, Darwin expose des vues très différentes. Pour lui, les variations apparaissent chez l’individu sans raison apparente. Si elles le rendent plus fort, plus leste, plus habile ou moins visible à ses ennemis, elles l’avantagent dans la lutte vitale, nécessitée par la disproportion entre la quantité des aliments augmentant en progression arithmétique 1, 2, 3, et le nombre des consommateurs croissant en progression géométrique 1, 2, 4, 8, (loi de Malthus, dont Darwin se réclame) ; elles améliorent aussi sa capacité de résistance aux conditions plus ou moins défavorables du milieu. Les concurrents les meilleurs éliminent ou détruisent leurs congénères, échappent aux agents extérieurs ou étrangers de destruction : climat, para-

sites, espèces venimeuses, et seuls survivent et se reproduisent, transmettant par hérédité leurs caractères particuliers, dont l’accentuation par les générations successives délimite une espèce nouvelle. Telle se manifeste la sélection naturelle.

En outre, dans un groupe déjà marqué par la vigueur de ses constituants, les mâles remarquables par leur puissance ou leurs attraits s’approprient les femelles de choix. Les qualités reproductives se fixent dans la descendance. La sélection sexuelle s’ajoute à la sélection naturelle, pour utiliser des variations fortuites et assurer l’évolution. Mais celle-ci reste surtout subordonnée à la lutte implacable pour les moyens d’existence entre individus de différentes espèces voisines et aussi de même espèce. La vie n’est qu’un perpétuel combat, où les plus forts triomphent.

Si l’évolutionnisme et le transformisme s’imposent par la seule contemplation de la nature, leur explication ne constitue par un dogme à opposer au créationnisme. Et les objections ne manquent pas au lamarckisme comme au darwinisme. Cependant, par ses suggestives intuitions, Lamarck aura eu le mérite de bien poser le problème. En procédant scientifiquement par l’observation et l’induction, Darwin indiqua et précisa la meilleure méthode : l’étude des phénomènes actuels renseigne sur les choses du passé ; aujourd’hui est le fils d’hier et le père de demain ; les enfants ressemblent aux parents. On est donc en droit de conclure du présent au passé.

Tout de suite apparaît prépondérante l’influence du milieu avec ses composants : la terre, la mer, l’atmosphère, la température, le magnétisme, les climats, les saisons, la lumière. Après l’avoir niée, quant à ses effets sur les variations, Darwin lui-même arrive à l’admettre : « L’homme expose, sans en avoir l’intention, les êtres organisés à de nouvelles conditions d’existence et des variations en résultent ; or des changements analogues peuvent, doivent même, se présenter à l’état de nature. (Darwin : « Origine des Espèces », édition française Schleicher, page 85) » Les exemples abondent et les éleveurs en fournissent par milliers. L’expérimentation scientifique apporte ses preuves : ainsi les grandes différences constatées entre les truites de mer, les truites de lac et les truites de ruisseau sont dues à la seule influence du milieu ; une truite de lac se réadapte à la vie marine en prenant toutes les apparences de la truite de mer et vice-versa. Le froid et le chaud agissent puissamment sur la peau des animaux : dans nos climats, les mammifères à poil ras des régions tropicales se couvrent pendant l’hiver d’une bourre laineuse ; à l’inverse un climat chaud fait tomber les poils des chevaux et des chiens. La durée de la vie larvaire des grenouilles est de trois mois environ dans les conditions ordinaires de nourriture et de température ; en les alimentant peu dans de l’eau froide on arrive à faire persister le stade têtard pendant un à trois ans. Les changements saisonniers influent sur la couleur du pelage de certains animaux ; le lièvre variable du nord de l’Europe, brun en été, devient blanc en hiver. Dans les climats extrêmes se manifestent les phénomènes d’hibernation et d’estivation, durant lesquels la vie se ralentit, se suspend même pour quelques espèces, marmotte par exemple.

L’action de la lumière tombe sous l’évidence en colorant ou décolorant les individus qui y sont exposés ou soustraits.

L’alimentation exerce un pouvoir considérable sur le développement et les variations des individus. La fécondité croît avec la nourriture et les animaux domestiques se reproduisent beaucoup plus que leurs congénères sauvages : la cane sauvage pond douze à dix-huit œufs par an, la cane domestique quatre-vingts à cent. En Virginie les porcs blancs, mais non les noirs, qui