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des « fasci italiens de combat », qui eurent, au début, un programme avoué et public fort confus, sans but précis, parlant surtout de « valorisation de la victoire italienne », de la guerre à peine terminée, de revendication des droits des producteurs et des combattants, de démocratie à tendances républicaines, d’assemblées constituantes, d’abolition du Sénat, d’amputation du capital, de terre aux paysans, etc…

Les journaux furent « Il Popolo d’Italia » et d’autres petites feuilles que personne ne lisait, écloses ça et là, à travers l’Italie.

Ce mouvement, à son début et jusqu’à la fin de 1920, fut constitué par une infime minorité ; son plus fort noyau était formé d’anciens révolutionnaires interventionnistes, aigris par la haine dont la grande majorité du prolétariat les avait entourés pendant la guerre. Il s’y ajoutait quelques déçus de la guerre : officiers et sous-officiers licenciés et sans emploi, encore pleins des fumées guerrières et de désirs inassouvis et, d’autre part, un assez grand nombre de types louches, d’aventuriers, déclassés qui, jusque-là, avaient surtout fréquenté les maisons de prostitution et les tripots de cocaïnomanes, de demi-fous, etc. Il n’y manqua pas non plus, comme toujours en de tels mouvements, de jeunes gens d’évidente bonne foi, quelques-uns à peine âgés de 15 ou 16 ans, étudiants pour la plupart, courageux, mais d’esprit corrompu par la stupide littérature de guerre et par l’infâme bourrage de crâne pratiqué dans les écoles, dès 1915. Ils prétendaient « sauver l’Italie du bolchevisme ». C’est à eux, exclusivement, que sont dus les quelques épisodes de déplorable courage (tant vantés, exagérés et multipliés depuis), des premiers moments du fascisme, les morts de Ferrare, Modène, Bologne et quelques autres lieux, alors que les forces de l’État encore hésitantes entrèrent par exception en conflit avec leurs futurs alliés ou lorsque l’agression contre les prolétaires ne fut pas, comme toujours, dans la proportion de vingt armés contre un désarmé. Sur ces éléments, l’exaltation nationaliste devait avoir prise. Elle était entretenue en eux par la phraséologie de d’Annunzio, œuvre d’art, mais vide et antihumaine, et par son entreprise militariste de Fiume.

Tant qu’ils furent un très petit nombre, les fascistes se déchaînèrent contre le socialisme, l’appelant panciafichista. (Ce mot panciafichista vient du dicton italien : « Salvar la pancia pès fichis », (Sauver l’estomac par les figues), s’appliquant à tout individu excessivement peureux, qui redoute le moindre danger, lui reprochant de ne pas oser faire la révolution ; mais, en même temps, ils attaquaient avec violence les requins, les nouveaux riches, le Gouvernement. On comprit, plus tard, qu’il s’agissait en partie d’une feinte, en partie d’un chantage, quand on sut que plusieurs « requins » passaient en sous-main de l’argent au fascisme et que les autorités de la police et de l’armée commençaient à aider les fascistes et à leur fournir armes et munitions ; mais l’État, officiellement, semblait encore neutre et quelquefois hostile. Cet ensemble de faits fournit des facilités ou des prétextes à tous les partis politiques bourgeois, pour venir tour à tour renforcer le fascisme. Ils agirent par intérêt de classe et plus encore en haine du parti socialiste alors très fort en nombre, très violent en paroles et de peu d’égards pour les autres partis. Ceci est vrai non seulement des nationalistes, des cléricaux et conservateurs libéraux, mais aussi des démocrates, des populaires-catholiques et même, (en Romagne), d’un certain nombre de républicains.

La première manifestation typique du fascisme, presque une anticipation, fut l’assaut donné à l’Avanti de Milan, quotidien du parti socialiste, le 15 avril 1919. Une bande pénétra dans les bureaux du journal, brisa, brûla tout ce qui concernait la rédaction et l’adminis-

tration. Le fait passa, rencontrant la plus grande indulgence des autorités. Mais la force réelle du fascisme ne date que de l’issue lamentable de l’occupation des fabriqués, en août 1920, où l’on eut la preuve de l’impuissance, de l’incapacité de résistance du mouvement socialiste, en dépit de son énorme force numérique. La véritable attaque armée commença à Bologne, le 21 novembre 1920, à l’occasion de l’installation d’une nouvelle administration socialiste à la tête de la commune. Le guet-apens fasciste, d’ailleurs annoncé et organisé, d’accord avec la police locale, eut un plein succès. Les ouvriers résistèrent peu et mal, puis se dispersèrent. Immédiatement commença le système des bâtonnades, des coups de revolver, de l’incendie des locaux ouvriers, des expéditions punitives, des bannissements.

Immédiatement, les forces des fascistes se multiplièrent parce que d’innombrables peureux de la veille s’unirent à eux. De Bologne, comme une tache d’huile, le fascisme s’étendit à Ferrare, puis à Modène, puis dans la Polésine, puis en Toscane ; des villes il prit pied dans les campagnes. L’aveugle et sourde bourgeoisie agraire de la vallée du Pô en devint tout de suite enthousiaste, puis celle de Toscane. Après une brève période d’arrêt, spécialement après les élections de 1921, encore très favorables aux socialistes, après une stupide tentative de pacification, due à l’initiative du président de la Chambre, le mouvement fasciste reprit sa marche avec l’adhésion, maintenant avouée et toujours plus complète, soit du parti nationaliste et du parti libéral, soit de la bourgeoisie incolore particulièrement celle des banques. Le gouvernement monarchique feignait toujours d’être neutre ou hostile, mais de plus en plus il laissait voir son jeu : Il cherchait a éviter les conflits retentissants, mais s’il s’en produisait les forces de la police étaient toujours contre les prolétaires. Les expéditions punitives étaient suivies par la police, qui n’intervenait qu’au cas où les fascistes avaient le dessous ; dans le cas contraire, elle se bornait à faire une enquête ! Fort souvent, les choses se passaient ainsi : la police envahissait une bourse du travail, y perquisitionnait de fond en comble, emportait les armes quand elle en trouvait ; une heure plus tard, l’expédition punitive fasciste arrivait, sûr de trouver des gens sans défense, et brisait et brûlait tout.

Voici comment s’accomplissaient ces expéditions punitives : à une date convenue, ordinairement vers le soir, les fascistes de plusieurs localités, sur un ordre donné se rendaient en camions et voitures automobiles en un lieu désigné pour leur concentration ; dans la nuit, tous partaient par ces rapides moyens de transport et envahissaient, à l’improviste, la ville ou le village visé. Le fracas des camions, les coups de revolver, l’éclatement de bombes terrifiaient les habitants dès les premiers instants.

Tous les gens attardés, rencontrés dans les rues, étaient reconduits chez eux à coups de bâton. Si quelque fenêtre s’ouvrait, on criait de fermer et l’ordre était appuyé d’une décharge d’armes à feu. Alors commençaient les opérations : sur les indications des dirigeants, déjà renseignés, les sièges des organisations ouvrières, des cercles politiques d’opposition, des coopératives, etc…, étaient méthodiquement et littéralement mis à sac et détruits ; si quelques locaux étaient propriété d’une organisation, on y mettait le feu. Pendant ce temps, une escouade se rendait au domicile des militants les plus connus et les plus redoutés, se faisait ouvrir de force, terrorisait la famille, et si celui qu’elle cherchait était trouvé, il était bâtonné, quelquefois tué. Puis toute la troupe remontait dans les camions avec les drapeaux confisqués, quelques pièces du mobilier ou quelque tableau comme trophée et,