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lièrement haïs, en les contraignant à boire un verre d’huile de ricin. Et nous passons sous silence un certain nombre d’autres insultes aux personnes, nous ne parlons pas du noir de fumée dont on barbouillait les femmes, ni de certains épisodes particulièrement révoltants et immondes, d’une impudicité perverse, contre nature, peu nombreux, heureusement, mais suffisants pour donner le caractère de tout un mouvement d’où tout sens moral et humain sont absents.

Le fascisme se vante d’être l’antidote du bolchevisme, de l’anarchisme et de la révolution, mais, en réalité, c’est à toute la civilisation qu’il est opposé. Non seulement il renie et foule aux pieds toutes les libertés même les plus élémentaires que les peuples ont conquises pendant le dernier siècle par les révolutions ou par des progrès civiques, mais il renie l’esprit même de libre examen, d’élévation intellectuelle, de revendications de l’individu, l’esprit de la Renaissance, gloire de l’Italie. Mieux encore, il renie et sacrifie au Moloch État les principes les plus essentiels de dignité humaine, d’individualité, sanctionnés par le christianisme. Et c’est peut-être là une des principales raisons (quoique au premier plan il y en ait d’autres beaucoup plus matérielles et contingentes), pour lesquelles des catholiques et quelques prêtres sont au nombre des victimes du fascisme.

À mesure que le fascisme devenait plus fort et multipliait ses succès, l’État ‒ tout en continuant à se dire libéral et démocratique ‒ en devenait plus complètement et plus ouvertement complice. L’hostilité théorique et toute formelle de quelques députés, comme Amendola, ne comptait pour rien ; ce qui comptait, c’était l’organisme en soi, qui marchait désormais presque automatiquement, poussé par ses forces internes, dérivées du principe d’autorité que le fascisme semblait devoir renforcer et par des forces extérieures puissantes, comme celles de la haute finance, qui entendaient mettre définitivement le prolétariat sous le joug. D’ailleurs, voir dans le fascisme l’antithèse du libéralisme bourgeois et du parlementarisme démocratique, c’est une erreur ; il en est au contraire la conséquence logique ; historique ; tout au plus est-il le revers de la même médaille, l’autre plateau de la balance dans le jeu des forces capitalistes et étatistes.

Le fascisme a été l’aboutissement inévitable d’un siècle et plus de libéralisme et de démocratie c’est-à-dire de continuelles transactions entre autorité et liberté, entre privilège et misère ; il est le tombeau d’une liberté plus formelle que réelle, liberté particulière et non générale, partielle et non totale, de quelques-uns et non de tous : cela devait finir ainsi !

Ceux qui, en Italie, souhaitent la fin du fascisme pour le simple retour au régime libéral d’avant-guerre, pour la même structure étatiste et capitaliste de la société, nous les comprenons, car qui souffre désire la fin de sa souffrance ou son allègement à tout prix ; mais, s’ils ne réussissaient pas à autre chose, s’ils ne renversaient pas avec le fascisme tout le régime monarchico-bourgeois, ils n’arriveraient qu’à faire remonter un peu l’autre plateau de la balance destiné à redescendre plus tard ; ils recommenceraient le cercle vicieux qui les reporterait à l’état d’avant-guerre, puis à une nouvelle guerre, puis à un nouveau fascisme ! Mais revenons au fait historique, laissant à part toute discussion…

Après une courte pause dans la seconde moitié de 1921, (partielle du reste, car, dans une grande partie de l’Italie centrale les violences ne cessèrent pas), l’offensive fasciste recommença plus impitoyable et sur une plus vaste échelle, au printemps de 1922, aussitôt après le départ des membres de la Conférence internationale de Gênes, de cette année-là. Des villes entières furent occupées militairement par les escouades que

l’on y concentra ; les violences individuelles et collectives se multiplièrent. La Romagne, entre autre, jusque-là à peu près épargnée, fut entièrement envahie. On y brisa la résistance passive et en beaucoup d’endroits, assez indulgente des républicains, désormais rudement traités en ennemis.

La « tendance républicaine », jusque-là miroir aux alouettes démocratiques, et menace exploitée par le capitalisme contre la monarchie pour en prévenir les scrupules constitutionnels, fut définitivement mise de côté. Le fascisme qui, déjà, en son congrès de Rome, fin 1921, avait revendiqué comme siens et proclamés intangibles les principes de la propriété individuelle et de l’autorité de l’État, s’affirma ouvertement monarchique et se constitua gardien de la maison de Savoie.

Une dernière résistance de caractère populaire et ouvrier fut tentée, au début de 1922, par la constitution, sur l’initiative du syndicat des cheminots, de l’Alliance du travail, entre toutes les forces syndicales des diverses organisations, sans distinction de tendances ; son premier et dernier effort fut la grève générale de protestation dans toute l’Italie, aussitôt après les violences fascistes de Ravenne, en juillet 1922. La grève réussit assez bien, mais non complètement, elle manqua de l’énergie nécessaire pour retourner la situation et il ne pouvait en être autrement. La débâcle alors se précipita. D’autres forces bourgeoises, soi-disant légalitaires, prirent prétexte de la grève, dont elles se prétendirent effrayées, pour s’unir au fascisme. Le fascisme en profita pour redoubler de violence et c’est alors que fut prise d’assaut la municipalité socialiste de Milan avec le concours de d’Annunzio, qui s’agitait encore et montra que le titre de Paillasse d’Italie, d’une publication anarchiste du temps, lui convenait parfaitement.

Les Marches furent envahies et Ancône eut ses massacres (où quelques anarchistes perdirent héroïquement la vie), puis une longue période de véritable étouffement et de martyr. Les Abruzzes et les Pouilles avaient aussi été domptées ; l’antifascisme désormais ne résistait plus que sur quelques territoires du Midi, à Naples, en Sicile, à Turin, à Gênes, à Milan, à Rome et dans quelques autres centres.

Il ne manquait plus au fascisme que de marcher sur Rome et de s’emparer du pouvoir. Il ne s’agissait guère que d’une formalité, d’un acte fait pour l’apparence, propre à décharger de toute responsabilité personnelle, les gouvernants et le roi. Feignant de se concentrer à Naples, pour un Congrès, les escouades fascistes se mobilisèrent militairement, vers la fin d’octobre, elles envahirent les préfectures sans défense, montèrent sans opposition dans les trains et se réunirent autour de Rome. Le ridicule ministre Facta voulut alors se donner l’air de résister : il proclama l’état de siège, mit carabiniers, soldats et barrages sur les voies conduisant à Rome. Mais le roi refusa de signer l’état de siège, il appela Mussolini à Rome, et remit entre ses mains le pouvoir de l’État. Les barrages furent enlevés, les carabiniers et les soldats firent la haie aux escouades fascistes en chemises noires entrant dans Rome. Des scènes de dévastation et de violence se déroulèrent dans les quartiers populaires des faubourgs, aux sièges des partis politiques et des journaux d’opposition. Le quotidien anarchiste, Umanità Nova, dirigé par Malatesta, en ces journées, fut attaqué pour la seconde fois et subit une destruction totale (28-31 octobre 1922).

En dehors de quelques conflits isolés, à la périphérie, de quelques escarmouches aux portes de Rome, de la prise d’assaut, à Bologne, d’une caserne de carabiniers et de quelques autres épisodes de moindre importance, où tombèrent quelques fascistes, la conquête de l’État par le fascisme fut une remise de pouvoirs, un