passage de l’autorité d’une main à une autre, plutôt qu’une conquête.
Mussolini constitua le premier ministère fasciste avec le général et l’amiral, considérés comme ayant gagné la guerre contre l’Autriche (Diaz et Thaon de Revel), avec le renégat de la philosophie et de la libre-pensée qu’est Giovanni Gentile, avec des nationalistes et des libéraux conservateurs et même avec une représentation du parti populaire-catholique et de la démocratie. Une véritable union nationale contre le prolétariat.
Le Parlement, où les députés fascistes étaient une insignifiante poignée, où la grande majorité se composait d’éléments hostiles au fascisme, avec une forte minorité de 150 députés socialistes, communistes, républicains, ce Parlement s’inclina devant le pouvoir nouveau de la façon la plus vile. Exception faite de quelques déclarations individuelles empreintes de dignité, et des passifs votes d’opposition des socialistes, des communistes et des républicains, le Parlement parut être devenu comme par enchantement tout fasciste. Il ne réagit pas aux outrages du premier ministre, il vota tous les pleins pouvoirs, toutes les lois et décrets que celui-ci lui demanda et jusqu’à une plaisante loi électorale, qui signifiait le suicide du Parlement.
Aucun député n’osa démissionner, aucun ne protesta contre l’amnistie totale, premier acte du gouvernement fasciste, pour tous les crimes, de la simple contravention à l’incendie, du vol à l’assassinat, pourvu qu’ils aient été commis pour des « fins nationales ».
Le gouvernement fasciste mena, à partir de ce moment, une double politique : d’un côté, il cherchait à compromettre, aux yeux du peuple, hommes et partis du régime précédent, pour s’en faire des complices à pouvoir jeter par-dessus bord quand ils cesseraient d’être utiles ou quand ils auraient des velléités de révolte ; d’autre part, il poursuivait la destruction de toute liberté de la classe ouvrière par la violence et l’arbitraire policier, sans cesser pour autant les violences illégales, c’est-à-dire contraires à la loi même qu’il avait acceptée et sanctionnée. Corrompre autant d’hommes que possible, rendre la vie intenable à ceux qui montraient quelque fermeté de caractère, tel était son double but.
Maître du pouvoir gouvernemental, le fascisme put pénétrer dans des organismes qui lui étaient jusque-là demeurés fermés ; de fortes institutions, économiques : coopératives de crédit, de bienfaisance, de mutualité, etc…, restées jusque-là indépendantes, furent privées, peu à peu, de leur relative autonomie. Et quand, en avril 1924, on appliqua la nouvelle loi électorale, le fascisme se crut arrivé à l’apogée de la puissance.
C’est alors qu’il secoua les partis de « soutien » : les monarchistes-démocrates et les populaires-catholiques, qui, bon gré mal gré, passèrent à l’opposition. Les élections donnèrent au fascisme l’inévitable victoire ouvertement préparée, bâton et revolver en main. Un député fasciste avait annoncé à la Chambre que ce serait là les « élections du gourdin ». Les violences furent inouïes. Avant et pendant les élections, expéditions punitives, bâtonnades innombrables, meurtres sans compter les fraudes électorales, déjà notables précédemment, multipliées et intensifiées. Cependant, ces élections ne satisfirent pas entièrement le fascisme. Malgré les pressions exercées et malgré un nombre très important d’abstentions, les opposants eurent encore deux millions de voix. Aussi, au lendemain du scrutin, nouvelles violences de représailles, nombreuses destructions de cercles et d’institutions même catholiques. Dans le Parlement fasciste, Giacomo Matteotti, socialiste réformiste de grand courage, osa dénoncer les violences de la période électorale, rappeler celles qui l’avaient précédée, déclarer la consultation électorale sans valeur devant la conscience civique et, en pleine Chambre,
Comment se découvrit immédiatement le crime qui remplit d’horreur l’Italie et le monde, les faits qui suivirent, la campagne de la presse indépendante, la révolte de la conscience publique, puis la découverte du cadavre, les manifestations populaires, etc…, ce sont là des faits connus qu’il serait d’ailleurs trop long de rapporter ici. Fascisme et gouvernement eurent un instant de désarroi et cherchèrent à se laver les mains du sang de Matteotti. On promit justice, mais un certain nombre d’actes incohérents confirma la conviction de tous que le crime était l’œuvre des chefs du fascisme. L’indignation populaire était telle et le trouble si profond dans les milieux fascistes qu’un acte d’audace et de résolution d’un parti d’opposition quelconque, fût-il une petite minorité, aurait provoqué la chute du fascisme.
Mais personne ne fit rien de positif. L’opposition parlementaire « se retira sur l’Aventin », acte efficace tout d’abord et qui fut interprété par le plus grand nombre comme l’aveu que seule l’action directe du peuple pouvait sauver le pays ; mais comme aucun autre acte ne le suivit, il devint en peu de mois stérile, lassa l’attente populaire et finit par se résoudre en une pure perte. L’opposition, parlementaire eut l’aveuglement et l’ingénuité de se fier à l’initiative du roi, qui avait promis de renvoyer le ministère fasciste dès qu’auraient été publiés les documents prouvant que le chef du gouvernement était complice d’assassinat. Quand la publication eut lieu, et alors qu’à Rome on prononçait déjà les noms de nouveaux ministres, le roi, à la fin de l’année 1924, confirma sa confiance à Mussolini et l’autorisa à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à l’opposition. Celle-ci fut immédiatement désarmée et l’on eut ainsi deux leçons à la fois : d’abord que se fier à la parole d’un roi est une stupidité, ensuite qu’attendre quelque chose d’efficace d’une opposition parlementaire et de politiciens qui prétendent vaincre uniquement par des discours et par les intrigues de couloirs et de coulisses est une sottise. Seul le peuple peut affranchir le peuple, seul le prolétariat peut affranchir le prolétariat.
Au début de 1925, le gouvernement fasciste rejeta complètement le masque. Il assuma pleinement, devant la Chambre fasciste, la responsabilité du meurtre de Matteotti et de tous les autres crimes fascistes. D’ailleurs, par les rues et sur les places des villes italiennes, se poursuivaient encore destructions, incendies, bâtonnades, meurtres. Il est bon de rappeler que l’affaire Matteotti n’a été ni le seul, ni le plus horrible de tous les crimes commis par le fascisme officiel, même après son arrivée au pouvoir. Les massacres de Turin et de La Spezia, les assassinats qui précédèrent et suivirent les élections, d’autres homicides isolés, ceux qui firent suite à l’assassinat de Matteotti et toute une innombrable série d’autres violences contre les personnes et les choses, obligent à se demander si ce ne fut pas une erreur de concentrer toute l’attention sur le seul meurtre de Matteotti, comme le fit, pendant un certain temps, l’opposition ; de telle sorte que, cet écueil franchi, le fascisme devait se trouver hors de la tempête qui aurait dû l’emporter.
L’absence absolue de sens moral du gouvernement et du parti leur permit de dominer assez facilement une crise qui n’était que trop exclusivement morale, une révolte toute spirituelle, une opposition n’ayant pour arme que des paroles imprimées. Cette arme vint bien-