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breuses maisons particulières furent envahies et mises à sac, jusqu’à celle du grand philosophe Benedetto Croce, d’idées ultra-modérées et sénateur, que l’on sait adversaire du fascisme, mais qui s’abstient de toute activité hostile et demeure complètement hors de la vie politique, uniquement adonné aux études. On peut alors imaginer ce qu’il en a été des ennemis déclarés, des opposants actifs, des pauvres et obscurs ouvriers que rien ne met à l’abri de la violence et de l’arbitraire.

Puis le gouvernement compléta officiellement l’œuvre des escouades fascistes en faisant opérer des milliers d’arrestations. On vota, tambour battant, de nouvelles lois restrictives et des mesures de salut public, dont il résulte qu’aujourd’hui tous les partis, toutes les organisations non fascistes, sont supprimés et supprimée du même coup toute la presse antifasciste ou étrangère au fascisme. Toute propagande des idées des partis dissous est prohibée et punie par des années de prison. Est donc prohibée la propagande non seulement du socialisme, de l’anarchisme, ou du républicanisme, mais celle même du constitutionnalisme monarchique ! Enfin, toutes les plus élémentaires libertés et facultés des citoyens, même tout à fait étrangères à la politique, ‒ qu’il s’agisse de domicile, de correspondance épistolaire, de voyages, de s’expatrier, de commerce, d’études, de métier ou profession, de sport, etc., ‒ toutes sont soumises non seulement à des taxes énormes, mais au contrôle, à l’arbitraire, aux vexations de la police et des fascistes et peuvent être complètement supprimées.

Pour ces mesures liberticides, le gouvernement fasciste a non seulement réappliqué des systèmes de répression déjà mis en usage par le gouvernement italien en d’autres temps, comme l’ammonizione (perte partielle de la liberté), la surveillance spéciale, la relégation, l’interdiction de séjour, mais il a ressuscité et mis en œuvre les méthodes si longtemps maudites des Bourbons, des Papes, des Autrichiens. Il en a pris d’autres au tzarisme, (par exemple celle de faire des concierges autant d’agents de police) ; d’autres encore au bolchevisme russe. Il serait trop long d’entrer dans le détail. À tout cela s’ajoute un régime fiscal, qui écrase littéralement la masse des contribuables, un régime spirituel, qui rend, en fait, aux Jésuites toute l’organisation scolaire et prétend plier à la superstition catholique et à la superstition nationaliste toutes les consciences, en agissant de l’école maternelle à l’université. Les adversaires du fascisme, même s’ils restent passifs et muets, sont, peu à peu, chassés des emplois publics, de l’enseignement, de l’armée, des professions libérales ; les ouvriers qui ne s’inscrivent pas aux syndicats fascistes, sont chassés du travail, et à ceux qui, privés de pain et de liberté, veulent passer à l’étranger, on refuse un passeport ; s’ils tentent de s’évader quand même de cette Italie devenue une véritable geôle, ils peuvent être arrêtés et punis par plus de trois ans de prison, si toutefois ils ne sont atteints et condamnés à mort par quelque coup de fusil des miliciens fascistes, autorisés à tirer sur qui franchit la frontière, par les sentiers défendus.

De plus, une loi a rétabli la peine de mort, abolie en Italie, avec le code Zanardelli, entré en vigueur en 1891. Cette abolition de la peine de mort, c’était un des progrès civiques dont se glorifiait le plus l’Italie du vieux libéralisme, maintenant, cette petite gloire est effacée, elle aussi, de l’histoire italienne ; la peine de mort est de nouveau prévue par la loi de la maison de Savoie, même pour les délits politiques ou plutôt spécialement pour les délits politiques.

À l’extérieur, le gouvernement fasciste suit une politique d’agents provocateurs. Provocateurs en grand sur le terrain diplomatique, où, par des combinaisons d’alliances et de contre-alliances, on cherche à semer

partout des germes de guerre, à susciter partout des agressions contre les peuples ; provocateurs en petit, les stupides agents payés comme Riccioti Garibaldi et Newton Canovi, qui se donnent, à l’étranger, pour antifascistes et échafaudent, sur commande, des complots pour envoyer leurs victimes subir en Italie les pires supplices.

Comme « pendant », une politique économique de protectionnisme, de parasitisme, d’emprunts forcés, de compression fiscale, de taxes sur les industriels et les ouvriers, de famine générale qui fait remonter un peu la lire italienne, mais abaisse de beaucoup le taux de vie des Italiens, parmi lesquels augmentent le chômage, la misère et la faim. Comme unique remède, on remplit les prisons et les îles de milliers de prisonniers et de relégués, parmi lesquels en très grand nombre nos camarades anarchistes.

Ainsi, l’Italie est privée du fruit de toutes les révolutions de son « Risorgimento » ; toutes leurs conquêtes littéralement annulées, elle est retournée aujourd’hui à l’absolutisme le plus arbitraire, à côté duquel les gouvernements passés du Pape, des Bourbons, des Habsbourg, étaient des modèles de correction et de légalité. Pour trouver quelque chose de semblable, il faudrait remonter jusqu’à la domination espagnole, corrompue et corruptrice du xvie siècle, avec ses « bravi », ses tyranneaux ignorants, couverts de clinquants, avec ses hommes de loi sans scrupules, tels que nous les a décrits Manzoni, dans son classique roman Les Fiancés.

Et tout cela se passe avec l’approbation et la complicité directe et nécessaire du roi, qui cependant avait juré la Charte constitutionnelle ; avec la bénédiction du pape, qui cependant a vu massacrer par les fascistes plus d’un de ses prêtres ; avec la contribution et l’adhésion de la haute banque, de la grande finance, de la grosse bourgeoisie terrienne et industrielle qui espère, au prix d’un peu de sujétion, de souplesse… et d’argent, faire une bonne affaire par la possibilité d’exploiter impunément et sans limites la classe ouvrière, réduite à un état d’entière servitude. C’est pour cette dernière raison que les finances de l’Italie officielle prennent une apparence d’amélioration. C’est aussi pour cette raison que certains gouvernements et gouvernants étrangers, précédemment sans égards pour le fascisme et craignant encore aujourd’hui son fol esprit d’aventures guerrières et coloniales, ne lui marchandent cependant pas les compliments ni les faveurs, à vrai dire d’ordre infime.

Ceci nous amène à rappeler ce que nous avons dit au début : que le fascisme, sauf en ses traits spécifiques tout particuliers à l’Italie, est dans son caractère général un phénomène international. Beaucoup des méthodes inhumaines et féroces dont nous avons parlé ont été d’abord expérimentées ailleurs qu’en Italie, en Allemagne et aux États-Unis par exemple ; de plus, on peut dire que l’Espagne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lettonie, etc., sont gouvernées à la manière fasciste et que le bolchévisme s’est servi et se sert encore de méthodes fascistes. En outre, dans des pays où le fascisme n’est patronné que par une petite minorité et où son influence directe semble encore repoussée, il exerce cependant une puissante action en ce que le capitalisme en use comme d’un chantage pour empêcher le prolétariat de s’élever et de s’émanciper intégralement.

L’anarchie, exaltation du principe de la liberté, est l’antithèse parfaite du fascisme, exaltation du principe d’autorité. Anarchisme et fascisme sont les deux pôles de l’évolution sociale, deux ennemis irréconciliables et peut-être les seuls ennemis vraiment et radicalement irréconciliables. Contre le fascisme, les anarchistes invoquent que la solidarité du prolétariat soit aussi comp-