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que par l’égoïsme et la méchanceté d’une poignée que nous sommes misérables.

C’est parce que notre société est mal organisée, parce qu’elle va à vau l’eau, que tout est à refaire, pour qu’enfin il n’y ait plus sur cette terre des hommes qui ont de trop alors que d’autres n’ont pas un verre d’eau à boire.


ÉBÉNISTE. n. m. L’ébéniste est l’ouvrier qui construit et façonne les meubles. Il est le successeur spécialisé du charpentier, du huchier et du menuisier. Les tourneurs, sculpteurs, menuisiers en sièges, découpeurs, marqueteurs, tapissiers, ainsi que les ciseleurs et monteurs en bronze, relèvent de l’art de l’ébéniste.

Antérieurement, par le fait des guerres incessantes, les peuples se déplaçaient souvent, vivaient nomades. Pour enfermer et emporter les quelques objets constituant leur avoir, ils se servirent d’abord des coffres, ce fut le plus ancien mobilier.

Si on étudie le huchier sur les œuvres sorties de ses mains, on est dépourvu de documents pour l’époque romane en France, en Allemagne, en Espagne, en Lombardie. Il faut arriver au Moyen Âge français, au gothique, pour tabler sur des objets et des écrits qui nous renseignent sur l’artisan que fut le huchier. Les premiers ateliers sont établis dans les monastères et dans les châteaux, pour leur agencement intérieur en bancs et tables, en meubles de sacristie et en boiseries. Dès le ve siècle, les corporations du bois se détachèrent des charpentiers et se différencièrent en coffriers-huchiers ; dans le milieu du Moyen Âge, en huchiers-imagiers, layetiers et menuisiers. Ce n’est que sous Philippe le Bel, à la fin du xiiie siècle, que s’élaborent les statuts corporatifs qui établissent les métiers. Par décret, les huchiers sont substitués aux charpentiers. Un siècle plus tard, en 1371, le Tiers-État les confirme : huchiers-coffriers, bahutiers, layetiers, pour enfin, en 1382, être changés en menuisiers.

Pour ces époques déjà éloignées, ce qui se fit en France ne coïncide pas avec les mêmes dates dans les autres pays.

Aux Indes et en Chine, le travail de l’ébéniste s’exerça à des époques plus anciennes, sur lesquelles nous manquons de documentations exactes. Dans les Flandres, à la fin de la période romane, les sculptures et moulures ne sont pas exécutées par les huchiers (Screenworker), mais par des spécialistes sculpteurs (Boeldesnyder). En Italie, au xiiie siècle, on signale des marqueteurs (Intarsiatori), qui emploient divers bois qu’ils teignent.

Au Moyen Âge, les huchiers faisaient les coffres en chêne, qui servaient de malles, qui se fermaient par un gros couvercle, faisant aussi office de tables. Une stabilité relative se révéla après les luttes du Moyen Âge, elle permit au mobilier de se développer, d’abord par les huches qui étaient des coffres pour pétrir la farine et conserver le pain, puis avec les tables, les bancs, les lits et les bahuts.

Des Chartes corporatives édictées en 1134, accordaient des privilèges à la Compagnie des marchands (hanse). Elle avait des ramifications avec les grandes villes européennes : Hambourg, Cologne, Anvers, Dunkerque, Amsterdam, Riga, Marseille, Naples, etc… Ces Chartes ne touchaient pas encore la corporation des huchiers, en 1290, quand les Statuts corporatifs furent remaniés et élaborés, on tint compte des métiers du bois, les huchiers y furent incorporés. Les statuts visaient la bonne construction du mobilier, les commissions veillaient à leur application et protégeaient les maîtres contre les revendications des compagnons désireux de sortir de leur dépendance et des apprentis qui étaient corvéables. À Paris, vers 1300, les huchiers étaient concentrés près de l’église St-Gervais. Dans les châ-

teaux seigneuriaux, le luxe devint exagéré dès 1350 ; lits somptueux, tables, huches et boiseries sculptées. Alors que, le compagnon huchier et l’apprenti assujettis au maître, qui, lui-même dépendait du Seigneur, ne possédaient même pas un coffre, la paille étalée à terre ou sur des planches était leur lit, les apprentis couchaient dans l’atelier, sur les copeaux.

Les huchiers-imagiers (sculpteurs), façonnaient des huches décorées, pour y mettre les vêtements et le linge.

En 1400 apparaît la spécialité des échiquiers, distincte, pour la construction des tables à jeu d’échecs, des sujets et pions du Tric-trac. Pétrot à la fin du xive siècle, et Lucas en 1496, en furent les premiers artisans. Les écriniers qui confectionnaient les petits coffres pour y serrer les bijoux ne se séparaient pas des bahutiers, qui faisaient les cabinets qu’ils incrustaient d’ébène et de marbre. À Venise, au xve siècle, on fit le filet en os incrusté dans le bois noir ; on fit aussi le piqué (certosino), marqueterie d’ivoire et de bois noirs divers, qui s’imita dans les monastères de divers pays.

Notons une ordonnance et statuts de 1580, contre le tâcheronnat et le travail à façon : « Nul ne pourra bailler à besongner à aucun varlet ou serviteur dedans la ville ou forsbourgs. Ains les pourra embesongner en sa boutique ou maison, sur peine de confiscation des ouvrages. » Notons plus loin : « Aucun varlet (compagnon) ne peut sortir de son maître pour travailler chez un autre maître. »

À Paris, sous Louis XIII, apparaissent les premiers meubles en ébène avec des incrustations d’ivoire, c’est de cette époque que se différencient les métiers du bois : les charpentiers construisant le gros œuvre du bâtiment immobilier ; les menuisiers construisant les portes, les auvents, les boiseries, les tables, les bancs ; les menuisiers-ébénistes façonnant tout ce qui est mobilier en bois massif : chêne, noyer, merisier, acajou, ébène. Abandonnant en partie le bois de chêne, presque seul en usage en France, l’ébéniste se servit à la fois de tous les bois massifs et en placages. Puis, s’importèrent du Brésil, des Indes, de Madagascar, etc., le palissandre, l’amaranthe et différentes essences dures et colorées.

C’est en 1642 que la corporation des ébénistes établit son siège quai de la mégisserie. Les armes du blason sont : une varlope d’or à lame d’argent et à manche d’or. La bannière de Ste Anne qui était aussi celle des menuisiers était bénie tous les ans à l’église des Billettes. Sous Louis XIV, les ébénistes formaient une caste avec ses statuts et ses jurés qui veillaient à leur application, auxquels étaient soumis les maîtres, les compagnons et les apprentis. L’esprit exclusiviste des règlements sanctionnait les inégalités dont les obligations les plus lourdes revenaient à l’apprenti. Pour entrer en apprentissage, il fallait payer le maître (patron), consentir six années sans aucune rétribution. À la fin de l’apprentissage exécuter un chef-d’œuvre selon l’ordonnance ; payer pour le droit du roi un écu soleil, pour chacun des jurés demi écu soleil, au receveur du métier six écus et à la Confrérie de Ste Anne un écu.

En instituant dans les Gobelins un atelier pour les ébénistes, un peu plus tard en le transférant au Louvre, en leur accordant des privilèges, Colbert ne fit que renforcer l’idée de caste corporative. Il en aperçut les défauts quelques temps après. Les familles qui pouvaient laisser leurs fils pendant six ans en apprentissage sans gagner un sou, qui, au contraire, versaient une forte redevance au maître, à la Jurande et à la paroisse en entrant et en sortant d’apprentissage, étaient déjà des familles de condition aisée et bourgeoise.

Cela fit naître chez les compagnons un esprit de supériorité sur le Serf de la plèbe, qui n’avait pas les