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poil repousse quitte à l’arracher au fur et à mesure… Sa morale, d’ailleurs, tant sociale qu’individuelle, le prédispose à la rigueur plus qu’à l’indulgence. Devoir et ne pouvoir payer constitue une incartade et une dérogation aux règles et aux fondements de l’honnêteté conventionnelle qu’il a pour mission de sauvegarder. C’est là avant tout un titre à sa méfiance et qui situe l’intéressé malheureux ou malchanceux sons sa désapprobation ou son mépris, très peu souvent dans la zone de l’excuse et de la tolérance. Sa « grandeur d’âme » tenterait davantage la plume d’un Courteline ou d’un Balzac qu’elle ne soulèverait l’enthousiasme reconnaissant des humbles. Un sceau fatal désigne la demeure marquée pour sa visite : on y a commis le crime d’être désargenté !…

Imbu de l’importance légale d’une fonction coercitive, il est enclin à en élargir les attributs et à en accentuer les interventions. Aussi il use davantage des prérogatives de sa charge pour la poursuite fructueuse qu’il ne les emploie à écarter des défavorisés sociaux les conséquences pénibles de leur état. Jargon d’étude et de prétoire, finasseries et « retorderies » juridiques masquent surtout les embûches et précèdent les saignées pécuniaires, voire les expulsions, et l’huissier demeure un agent de pressuration aux interventions redoutées. Mandataire de la fortune en service de recouvrement, il se garde d’oublier qu’il arrondit sa propre escarcelle sur le chemin même où s’assouvissent les créances. Les « frais » sont à l’actif de ses affaires et agrémentent sa situation. L’huissier, qui, dans les ménages de travailleurs aux budgets difficiles, se présente porteur du « papier timbré » fatidique donne presque toujours le signal des catastrophes domestiques. Il précise les embarras accrus, la rupture d’une semi-quiétude provisoire, la gêne davantage maitresse au foyer, le fléchissement et parfois la chute d’une économie laborieuse. Il est, dans un état social de souffrance, un instrument de la peine multipliée et de la détresse. Les privations font cortège à ses présentations. Et l’huissier, qui jette à la rue et fait vendre à l’encan les meubles et les hardes du pauvre est — comme tout l’appareil judiciaire tendu devant les victimes unilatérales de « l’ordre social » en un traquenard permanent — honni avec raison du populaire. — Lanarque.


HUMANITARISME n. m. Ce mot, surtout dans les pays occidentaux, est employé plutôt comme adjectif ; comme substantif, il a une signification générale imprécise. Dans la presse il circule sans norme, sans gêne. Il faut expliquer une équivoque. L’humanitarisme n’est pas une notion sans contenu réel ; ce n’est pas un mot commode à la portée de chacun. Dans quelques livres, particulièrement dans L’Humanitarisme et l’Internationale des Intellectuels (la première édition a paru à Bucarest en 1922), je me suis efforcé à donner à ce mot une signification positive, dont devraient tenir compte tous ceux qui emploient ce mot. Les uns considèrent l’humanitarisme sous une forme personnelle seulement, le réduisant à cette urbanité qu’ils croient inhérente, cachée dans le cœur, et qui ne peut souffrir une « exprimation sociale », c’est-à-dire son affirmation par des actes collectifs ou seulement par certains principes selon lesquels elle serait guidée à travers les réalités sociales. Ceux qui craignent que l’humanitarisme, exposé sous la forme de doctrine, devienne un dogme, — et par conséquent contrarie la liberté de conscience et l’action de l’individu, — ceux-là craignent inutilement. L’humanitarisme ne peut pas être un dogme, un cadre restreint et fixe dans lequel nous devons nous limiter en nous déformant. Ceux qui examinent bien les principes humanitaristes, peuvent se convaincre qu’ils n’ont pas d’autres limites que celles de l’espèce humaine elle-même — (non pas une classe, une nation, une race) — et que ces limites ne sont pas définitives, augmentant

en même temps que le progrès biologique, technique, économique, culturel et spirituel de l’humanité.

Parmi les mouvements qui sont nés après la guerre de 1914-1918, le mouvement humanitariste procède du désir même de salut de l’humanité entière ; et planant au-dessus des intérêts éphémères, reste dépourvu de toute ambition de domination. L’humanitarisme n’est pas une simple expression verbale, vaguement idéaliste, mais résume les tendances au progrès de toute l’humanité. L’humanitarisme intuitif et moral préconisé par les vieilles religions a pris, à l’aide de la science moderne, une ampleur et une clarté qui le rendent accessible à ceux qui obéissent à la voix du cœur, aussi bien qu’à ceux qui suivent les impératifs de la raison. L’humanitarisme est une conception générale de la vie humaine, une doctrine pratique qui, nous le répétons, ne deviendra jamais un dogme, pour la raison que ses bases ne sont ni politiques, ni strictement sociales. L’humanitarisme est une expression de l’évolution biologique, économique, technique et culturale de l’humanité qui, elle, est un organisme unitaire, dans lequel les races, les nations, les classes et les individus peuvent vivre en harmonie, ayant chacun sa tâche spéciale dans le cadre d’un seul intérêt commun. Cet intérêt commun est : le progrès pacifique, par voie internationale, de l’activité créatrice des diverses catégories de travailleurs intellectuels et manuels.

L’humanitarisme est donc basé sur les idéals permanents et intégraux de l’homme et sur les tendances naturelles de l’évolution humaine. Il embrasse le passé de l’humanité, plein de victoires sur la nature ; son présent, dominé par la toute-puissance de la machine, et son avenir qui verra la réalisation d’une harmonie définitive entre la matière et l’esprit. La malédiction que constitue le dualisme social (maîtres et exploités), le dualisme sexuel, le dualisme religieux, et les multiples mensonges idéalisés, doit prendre fin par le retour à l’unité générique : à l’humanité organisée économiquement et techniquement, mais au sein de laquelle l’individu gardera toute la liberté de ses aspirations, de ses convictions et de ses manifestations esthétiques, scientifiques, morales. Car l’humanitarisme ne s’adresse pas à une classe ou à une nation, mais à l’homme, à tout individu qui connaît ou veut connaître sa destinée de paix et de sociabilité au milieu du groupe, de la classe, de la nation, de la race, de l’humanité dont il fait partie. Aussi vieux que l’espèce humaine, l’humanitarisme se présente sous une forme qui résiste à toutes les recherches scientifiques et répond aux consciences les plus compliquées et les plus vastes.



Quelle est l’essence de l’humanitarisme moderne ? Les dix principes suivants suffisent, croyons-nous, pour indiquer les points de repère de l’humanitarisme :

I. — « Je suis homme ! », c’est la réponse qu’il nous faut donner à notre propre conscience et à ceux qui nous questionnent sur la nationalité, la confession ou l’État auxquels nous appartenons. Et cette réponse signifie : je sais que je suis le produit de l’évolution biologique ; qu’il y a en moi le singe, l’animal, la plante, le minéral ; je sais aussi que je dois développer en moi mon humanité grandie par les efforts des générations disparues : conserver la culture et la civilisation héritées et les parfaire autant qu’il est en mon pouvoir. Car, je prévois l’avenir en contemplant le passé : et c’est en m’humanisant moi-même que je bâtis pour mes descendants un degré nouveau sur l’échelle du progrès.

II. — Deux notions, qui sont deux réalités, forment la base de mon humanité, ce sont : l’individu et l’espèce, la cellule et l’organisme. La liberté peut toujours s’harmoniser avec la nécessité : ma volonté d’individu trouve un champ d’action créatrice dans le cadre de l’espèce.