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HUM
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C’est en les reconnaissant, que nous devenons les maîtres des fatalités naturelles. Et quant aux fatalités sociales, elles n’existent que pour ceux qui n’ont ni conscience individuelle, ni conscience de l’espèce.

Il n’y a, entre l’unité simple de l’homme et la suprême unité de l’humanité, pas d’autre unité naturelle intermédiaire, mais seulement des formes sociales et politiques : la famille, la tribu, la classe, la nation, l’État, la race… Ce sont des formes artificielles, transitoires : nous ne.les reconnaissons pas de manière absolue. Libérons-nous de leur tyrannie, si elles viennent à paralyser notre personnalité et si elles ne correspondent pas aux tendances vers le progrès de l’humanité.

III. — La croyance au progrès est la sève de mon humanité. Ce n’est pas une croyance mystique ou simplement idéaliste. L’idéal naît de réalités, non pas de rêves. L’élan de vie de la nature, devenu conscient par l’homme, trouve des expressions toujours plus parfaites, malgré toutes les catastrophes cosmiques et toutes les débâcles provoquées par la guerre. Le principe de tous les progrès matériels et spirituels est dans le progrès du cerveau : une idée supérieure ne germe que dans un cerveau par des brouillards de l’ignorance, des fantômes de la superstition, des obsessions fétichistes. La majorité de l’humanité a le cerveau en léthargie ; éveillons, par une éducation libre et positive, les possibilités qu’il recèle. L’humanité qui est dans nos cœurs, verra et agira mieux, quand elle sera dirigée par l’intelligence.

IV. — Le commandement de la conscience humaine est celui-ci : que l’idée devienne acte. C’est ainsi que l’on connaîtra notre sincérité et que nous connaîtrons notre pouvoir. Ce commandement nous mène d’ailleurs à la loi naturelle de l’harmonie. Car humanité veut dire harmonie des contraires. Que toujours nous serve d’exemple le dualisme de la nature, où tout cependant concourt à une harmonie unitaire.

Matière et esprit ? — spiritualisons la matière !

Individu et foule ? — personnalisons la foule !

Art et travail brut ? — embellissons l’effort créateur !

Religion et science ? — apportons la foi à la vérité !

Prolétariat et capital ? — socialisons les moyens de production !

Barbarie et culture ? — civilisons les peuples !

Dieu et l’Église ? — divinisons l’homme !

Que toutes les activités humaines, tout en demeurant dans les limites qui leur sont assignées par la nature, gardent entre elles les liens vitaux : qu’elles tendent, toutes, chacune par son effort particulier, au développement omnilatéral de l’humanité individualisée.

V. — Le pacifisme est l’axe premier de l’humanitarisme. Soyons persuadés non seulement de la destinée pacifique de l’homme mais aussi de son origine pacifique : la sociabilité primordiale, à l’époque de ses ancêtres simiesques et l’anatomie du corps humain démontrent que l’homme primitif n’avait d’autres armes que la solidarité numérique et son intelligence.

Que l’action pacifiste poursuive en premier lieu le réveil du pacifisme primaire. La haine est venue se greffer dans le cœur de l’homme par suite de la multiplication des guerres. C’est par la connaissance de l’origine humaine, des conditions de développement des civilisations et surtout par la conscience que nous avons de « l’organisme de l’humanité » que nous fortifions en nous le pacifisme individuel. En expliquant à tous que les guerres, surtout à notre époque, sont vaines à tous les points de vue, puisqu’elles donnent des résultats contraires à ceux qu’on poursuit, nous fortifions le pacifisme dans l’âme du peuple.

Basés sur des principes scientifiques — biologiques, économiques, etc. — nous pouvons donner au pacifisme la force de conviction qui détermine l’action. Le commandement de la conscience : Tu ne tueras point — (ce

qui signifie respecter la vie, toute la vie) — s’unira alors au souhait du cœur : Paix à vous ! — (ce qui signifie fraternité entre individus et harmonie entre les intérêts des peuples libres).

VI. — L’internationalisme est le deuxième axe de l’humanitarisme. Il a son origine dans le pacifisme comme les branches dans le tronc de l’arbre. Il a toujours existé, sous diverses dénominations. La solidarité de horde ou de race, les alliances entre nations ou classes sociales, les associations entre des groupes dispersés sur tous les continents — et même la division du travail entre les individus et les peuples —, ne sont que des formes (les unes embryonnaires, les autres hybrides) de l’internationalisme, ou plutôt de l’interdépendance.

L’intérêt prime partout et toujours. — L’internationalisme économique est reconnu par tout le monde, bien qu’il revête encore la forme de l’impérialisme politique. — L’internationalisme technique se relève avec chaque progrès des avions, par exemple, ou de la machine qui remplace le travail brut de l’homme. — L’internationalisme de la science est incontestable : la vérité afflue de tous les points cardinaux, comme le chant des poètes, comme le verbe des prophètes…

La culture et l’art des diverses nations ont une essence commune ; les mêmes racines leur servent à puiser la sève dans le même sol : il n’y a que les fleurs et les parfums qui sont différents. Et c’est ce qui fait la splendeur du jardin de l’humanité, où s’harmonisent, dans la soumission à la même destinée, les individualités nationales, sociales ou personnelles.

VII. — La tendance à l’unité : voilà la signification essentielle du pacifisme et de l’internationalisme. La paix entre les organes et l’interdépendance de leurs fonctions produisent la saine unité de l’organisme individuel. La paix entre les nations et l’internationalisme économique, technique, scientifique, cultural, préparent l’unité suprême de l’humanité. La tendance à l’unité admet les progrès les plus divers : la variété dans l’unité.

C’est par l’unité morale, dont la loi est l’accord entre l’idée et l’acte ; — par l’unité psychophysique, c’est-à-dire l’équilibre entre le corps et l’esprit ; — par l’unité sociale, qui est l’harmonie des intérêts des diverses classes non parasitaires ; — par l’unité nationale, synthèse des unités individuelles et sociales d’une certaine région géographique et sans caractère agressif pour d’autres nations ; — par l’unité de race ou l’unité continentale qui comprend les unités nationales liées entre elles par la même civilisation, par le « patriotisme cultural » ou par la nécessité d’une expansion économique pacifique ; — c’est par toutes ces unités progressives que nous nous dirigeons vers l’unité planétaire de l’humanité.

La tendance à l’unité de l’espèce existe dès les origines de l’homme ; elle prend sa source dans la réalité de « l’organisme de l’humanité ». Soyons conscients de cette tendance : toutes les activités humaines convergent vers la création de l’État unique de l’humanité ; cet « État universel » sera l’expression sociale de la réalité biologique de l’humanité et du progrès technique, économique, cultural et spirituel de celle-ci.

VIII. — Évolution civilisatrice : voilà la méthode de l’humanitarisme. Elle résulte des autres principes et n’est qu’une continuation de l’évolution naturelle, dirigée par l’intelligence et la force de l’homme.

Le fruit ne pousse pas avant qu’il y ait eu des racines, un tronc, des branches, des feuilles, des fleurs et surtout avant d’avoir puisé la sève de la terre. Il en est de même de l’individu, du peuple et de l’humanité. Il leur faut tous les éléments et le temps nécessaire. Chaque chose en son temps ! C’est par une ascension graduelle, d’un sommet à l’autre, que l’idéal se réalise. Mais jamais définitivement : toujours par des transforma-