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tulations, et qui se termine, comme cet entretien, par une brouille et des invectives. Chicaneau n’a plus qu’un désir : faire constater les violences auxquelles se porte son adversaire, la comtesse qu’une préoccupation : assigner son ennemi.

De là le vers final :

Chicaneau. — « Un sergent, un sergent ! » La comtesse. — « Un huissier, un huissier ! »

Un sergent a le pouvoir de dresser un constat ; un huissier a seul qualité pour délivrer l’assignation en justice.

Continuons la pièce :

L’Intimé, au fait de l’incident, l’exploite pour approcher Chicaneau et, faux huissier, vient remettre à l’enragé un faux exploit : Chicaneau s’emporte et frappe :

L’Intimé. — « Tôt donc…

xxxFrappez ; j’ai quatre enfants à nourrir. »

Un soufflet le récompense :

    — « Un soufflet ! Écrivons :
Lequel Hieronyme, après plusieurs rébellions,
Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue.
C’est bien cela… »

L’huissier, sous Louis XIV, confond en lui deux origines. Il descend des anciens huissiers d’armes, il détient une parcelle de leur autorité, il est sergent ; mais en plus il descend des huissiers préposés par la justice à la délivrance des citations et il ajoute une attribution nouvelle à son pouvoir. Il y a un sergent dans un huissier, un huissier déborde un sergent.

Disons pour être complet que l’exempt était un officier subalterne du guet ou de la maréchaussée, investi d’un pouvoir de police et délégué pour des opérations de police, notamment les arrestations. C’est un exempt qui, dans Tartufe, vient, au nom du roi, prendre au collet le fourbe et amener le dénouement. Nous avons ainsi ces trois personnages utiles à connaître… historiquement : l’huissier, le sergent et l’exempt. L’irascible Chicaneau s’est porté à des voies de fait sur le messager pour ne pas dire le mandataire de justice. C’étaient les petits inconvénients de la profession et parfois, comme l’indique l’Intimé, ses petits bénéfices à cause du dédommagement obligatoire.

Mais l’histoire connaît des huissiers qui ont été molestés plus gravement ou qui ont subi un sort dont ils n’ont pu tirer profit ni récompense.

Édouard, comte de Beaujeu, a été décrété de prise de corps pour avoir jeté par la fenêtre un huissier qui lui notifiait un exploit. Le marquis de la Séglière aurait ôté son chapeau à cet ancêtre. Ils étaient, l’un et l’autre, de ces temps où le noble s’estimait supérieur aux lois ou à la loi.

En 1322, Jourdain de Lille fut frappé d’une peine moins nominale et moins symbolique : il fut bel et bien pendu, mais il avait tué l’huissier qui lui délivrait l’assignation.

Enfin Dalloz rapporte que sous Louis XIII un jeune seigneur ayant cassé le bras à un huissier, le souverain parut au Parlement le bras en écharpe, pour attester que le coup porté au mandataire de l’autorité royale avait atteint le roi lui-même.



Telles sont les origines, tels sont les ancêtres de nos huissiers modernes.

Pour être huissier, il faut remplir les conditions suivantes : être Français, avoir au moins 25 ans, avoir satisfait aux devoirs du recrutement, justifier d’un stage (2 ans chez un notaire ou un avoué, ou bien 3 ans dans un greffe du Tribunal ou de la Cour). Il faut avoir obtenu de la chambre de discipline un certificat de moralité et produire une expédition de la délibération du Tribunal qui constate l’admission du candidat. La

fonction d’huissier est incompatible avec toutes les fonctions publiques. L’huissier ne peut être défenseur officieux devant les tribunaux où le ministère de l’avocat n’est pas obligatoire. Cette prohibition n’est guère observée dans les justices de paix cantonales, au moins dans certains départements.

Les huissiers ont dans leurs attributions : les citations, les notifications et significations nécessaires pour l’instruction des procès, et généralement tous actes et exploits requis pour l’exécution des ordonnances de justice, jugements et arrêts. Dans les villes où il n’existe pas de commissaires-priseurs, ils procèdent aux ventes mobilières.

S’il s’agit de délivrer une assignation à bref délai, c’est-à-dire en dehors du délai normal et quand la citation en conciliation a été supprimée par dispense de justice — s’il y a lieu de signifier un jugement par défaut, dans d’autres cas encore qui sont spéciaux, l’huissier procédant doit avoir été commis par le Président ; il prend le titre d’huissier commis et l’habitude est que le Président, en pareille occurrence, désigne un huissier audiencier. Les huissiers ne peuvent procéder ni délivrer les exploits les jours fériés ; les jours ordinaires ils doivent observer les heures légales, et s’abstenir :

Du 1er octobre au 31 mars avant 6 heures du matin et après 6 heures du soir ;

Du 1er avril au 30 septembre, avant 4 heures du matin et après 9 heures du soir.

Quelques amoureux illégitimes emploient à rebours l’horaire légal pour ne pas être surpris par la sommation consacrée : « Au nom de la loi », mais certains d’entre eux ont oublié à leur dam qu’une permission du juge pouvait autoriser les constats ou les intrusions légales en dehors des heures légales. Nous indiquerons, à l’honneur de la corporation, qu’elle a une Bourse commune (le législateur qui l’a prévue mérite d’être félicité). Cette Bourse subvient aux dépenses de la Compagnie, à la distribution des secours aux huissiers indigents… le cas est extrêmement rare… elle a des clientes parmi les veuves et les orphelins des huissiers décédés.

Elle serait mise à contribution s’il fallait couvrir d’urgence une carence de fonds par la défaillance d’un membre de la Compagnie, mais le cas est purement hypothétique.

On sait que, dans Les Plaideurs, l’Intimé a signé Lebon son faux exploit, et Chicaneau de s’écrier, non sans à-propos :

— « Lebon, jamais huissier ne s’appela Lebon. »

Certes, si la justice a sa raideur et son tranchant chirurgical, l’huissier ne procède point par la persuasion et l’urbanité de ses manières ne va pas jusqu’à la suavité. Toutefois, l’huissier à verge n’a jamais porté le faisceau des licteurs. Et nous connaissons même de ces honorables officiers ministériels qui, sans trahir les intérêts de leurs requérants, tempèrent l’ardeur du créancier, désarment par des représentations utiles la mauvaise volonté du débiteur. Il y a des huissiers, et même des huissiers non audienciers, qui, moralement, ont leurs élégances… Il est préférable de n’avoir pas à se louer de leur adresse ou de leur mérite dans l’exercice de leurs fonctions. — Paul Morel.

HUISSIER. L’huissier, dont c’est le métier de tirer rendement des exploits (protêts, assignations, contraintes, etc.) et que l’intérêt porte en général à envenimer la chicane qu’il monnaie au pourcentage, se présente d’ordinaire assez peu paré des adoucissements de la pitié. Il n’est que par accident messager de la conciliation et ne temporise guère que par calcul. Quand on ne peut « tondre un diable » parce qu’il « n’a plus de cheveux » et que la procédure risque de rencontrer le vide, il est parfois de bonne guerre d’attendre que le