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lieu, de durée et de temps), les idées de mode, de fini et d’infini, de nombre, de rapport, etc… D’autre part, les idées, quant à leur réciproque subordination, peuvent être envisagées sous le rapport de la compréhension ou de l’extension (étendue) : idées générales et particulières, idées simples ou composées. Les idées de « genre, espèce, différence, propre et accident » étaient jadis célèbres sous le nom de cinq universaux.

La définition, qui analyse et groupe les éléments de la compréhension de l’idée comporte deux séries d’opérations : la première consiste en leur énumération, la seconde les ordonne et les classe. La définition est soumise à ces deux règles qui en sont les conditions : 1° elle doit « convenir à tout le défini et au seul défini » ; 2° elle se fait « par le genre prochain et la différence spécifique ». Ces règles traduisent par leurs termes mêmes l’impossibilité où nous sommes de définir « les idées simples, les genres suprêmes, les idées des êtres et des événements individuels ». Peuvent l’être seulement celles « qui ont une compréhension multiple et fixe ». Là où nous est interdite la définition, faute d’essence propre à l’être à définir, nous avons recours à la description, qui en est la représentation par le discours.

Par détermination des idées on entend les attributs distinctifs qui constituent sa personnalité et en assurent la précision. Elle s’applique davantage à l’objet de l’idée qu’à l’idée elle-même et, par l’énoncé, relève plus de la logique que de la métaphysique. Les qualités de l’idée peuvent se réduire à trois qui sont : vérité, clarté, distinction. Elles portent à la fois sur sa valeur intrinsèque (psychologie, métaphysique) et son extériorisation (aspect et terminologie : logique)…

La liaison de chaque idée avec ses composantes est toujours ce qui la distingue des idées usuelles. Il faut donc spécifier, dès qu’il s’agit d’expliquer une idée, s’il est question de « la valeur qu’elle a dans le commerce ordinaire de la vie ou de la place qu’elle tient dans un système de science ». En effet, dans le premier cas, « l’idée représente immédiatement son objet, indépendamment de tout autre » et ne se préoccupe pas des caractères communs qui peuvent l’apparenter aux choses de l’environ. Dans le second cas, « ce n’est point un objet que l’idée représente, mais deux autres idées dont la dernière est souvent composée ». Ainsi l’idée de l’or, en son acception usuelle, nous apparaît indépendamment de toute comparaison et de toute analyse. Mais en histoire naturelle, elle s’accompagne d’attributs essentiels. L’idée de l’or est celle « d’un métal, brillant, jaune, dur, sonore, etc. Le métal est un minéral fusible, etc. Le minéral est un corps solide, etc. Le corps est une matière douée de forme. La matière est une substance susceptible de tomber sous le sens. La substance est un être capable d’une existence distincte de toute autre » (Delarivière).

Par origine d’une idée, on entend « les circonstances dans lesquelles on l’a eue d’abord, primitive, spontanée ; et celles dans lesquelles on l’a eue ensuite : développée, réfléchie » (Gat.-Arn.). On réserve parfois, pour la première catégorie l’appellation d’origine, donnant à la seconde le nom de formation. A sa naissance, toute idée est plus ou moins confuse-obscure. Et l’attention est l’atmosphère indispensable à son passage — accompagné, à quelque degré, de conscience — à l’état de claire-distincte. Intégrée d’abord dans la connaissance dont plus tard l’esprit la tire (abstraction) elle n’a pas un autre milieu originel. Ainsi « les idées du beau et du laid » (seconde classe des idées spirituelles) ont la même origine que la perception esthétique, etc. Quant aux connaissances elles-mêmes, elles empruntent leur origine à la fois à leur nature propre et à nos voies d’acquisition. « Toute perception extérieure, par exemple, a son origine dans une sensation ; ainsi la perception de solidité n’a pas d’autre origine que la sensation du toucher ; or, cette perception renfermant l’idée de cette

solidité, on a par là même l’origine de l’idée » (Gat.-Arn.). Mais si l’on entend autrement l’origine et qu’on y cherche « la cause efficiente » des idées, leur berceau primitif, le moment et le moyen de leur entrée dans l’esprit, celui-ci devient arbitrairement un magasin d’images ou de mots et les systèmes préposés à son ameublement s’enferment dans deux réponses exclusives. L’une comporte des idées acquises par les sens, au cours de l’existence, l’autre des idées innées (déposées en nous, par Dieu, avec la vie). Mais du fameux adage « Nihil est in intellectu ; quod non prius guerit in sensu » (il n’y a rien dans l’intelligence qui n’ait été au préalable porté dans les sens) l’interprétation varie avec les siècles.

Épicure identifie l’idée au réel à travers la sensation, fait des sens le premier critère de la vérité. Locke, à côté de la primordiale sensation, accepte des produits de la réflexion. Condillac voit dans l’idée une sensation transformée… Les Cartésiens, d’autre part, et les écoles dérivées admettent non tant les idées a priori, préexistantes à la naissance des hommes, que la faculté originelle — et toute interne — de les produire sans le secours du monde extérieur. Les idées d’être, d’infini, de parfait auraient été ainsi déposées, en germe ou en puissance, dans la raison humaine, par Dieu. Leibnitz voit aussi l’âme en possession, dès l’aube, de « toutes ses représentations ultérieures ». Les modernes se sont essayés à rendre raisonnables ces privilèges de l’âme et de la raison. Les uns y ont vu le produit de l’habitude (tel Stuart Mill, reprenant le principe de Hume). Spencer, s’appuyant sur l’évolutionnisme, fait intervenir « antérieurement à l’expérience individuelle, un pouvoir organisateur de l’expérience qui s’exerce conformément à certaines lois innées, résultant des expériences accumulées par les générations »… Kant, à un autre point de vue et par un autre chemin, établissant les modalités de la pensée, en avait déduit la « nécessité et l’universalité des formes de la sensibilité » (espace et temps) et proclamé l’apriorisme des « catégories de l’entendement », affirmant ainsi l’existence de certaines lois préalables qui, « conditions de l’expérience, ne pouvaient en provenir »… Et les théories, après eux tous, n’ont rien résolu en définitive qui posent l’innéité de « lois formelles » (sinon des notions, des représentations) résultant, « soit de notre nature intellectuelle, soit de notre structure cérébrale », et qui seraient indispensables à la connaissance, mais demeureraient neutres, improductives « sans le secours des sens »…

Les signes — considérés spécialement dans le langage humain — jouent dans la vie des idées un rôle considérable. Ils donnent comme un corps à ces vapeurs, rendant fixables — et maniables — ces ombres flottantes. Leur influence s’exerce sur leur formation, leur conservation, leur échange… La parole est un organe à la fois analytique et synthétique qui ouvre aux individus les chemins de la connaissance. De la perfection du langage dépendent ainsi la netteté et la pureté initiales de nos idées. Et une langue nourrie et bien équilibrée en facilite l’assimilation et en accroît la richesse. Les termes — ou mots — qui sont l’expression verbale des idées et correspondent aux idées dont ils sont les signes, en constituent justement les limites. Ils en circonscrivent le champ et en précisent les propriétés. Et la mémoire retient avec plus de force les idées bien amenées et nettement situées. Le langage, d’autre part, unit dans un hymen presque indissoluble les mots et les idées, consolide par ceux-là la durée de celles-ci. Dans le jeu actif des rapports humains où les mots se frôlent et s’accompagnent incessamment, les idées se trouvent avec eux rappelées et s’en renforce, ainsi ravivée, leur conservation. Enfin rien ne donne aux idées leur dynamisme effectif et n’en élargit la portée comme l’aisance assurée à leur communication par le secours du langage. Véhicule infatigable de la pensée, le langage, mal-