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dépendait pour lui de la bonne volonté des papes qui le pressaient et le menaçaient, signa, pour les apaiser, les lois barbares de 1224, 1238 et 1239. Ces lois prononçaient contre les hérétiques la peine du feu et la confiscation des biens, les privaient de toute protection légale, et condamnaient leurs amis ou protecteurs aux châtiments les plus sévères. Innocent IV confirma à plusieurs reprises ces lois terribles. Ses successeurs l’imitèrent ; ils donnèrent à ces lois une nouvelle vigueur, réclamèrent leur entière exécution, en alléguant que Frédéric II, ce grand ennemi de l’Église, au temps où il les avait rendues, obéissait au Saint-Siège.

Un vice-légat du pape, Pierre de Collemedio, fut le premier qui promulgua les lois de saint Louis dans le Languedoc. C’était encore un légat du pape — le cardinal saint Angelo — qui, cette même année, introduisit l’inquisition dans un synode en entrant à Toulouse à la tête d’une armée (Vaissette : Histoire générale du Languedoc, III, 382, Paris 1737). C’était en qualité de délégués du pape, que les inquisiteurs Conrad de Marburg et le dominicain Dorso, exercèrent leur rage en Allemagne pendant les années 1231 et suivantes ; au même temps Robert, dit le Bougre, travaillait en France. En 1233, Grégoire IX conféra les fonctions d’inquisiteurs aux Dominicains, d’une manière permanente, mais toujours pour les exercer au nom du pape et armés de ses pleins pouvoirs. L’Inquisition fut successivement établie en Languedoc, en Provence, en Lombardie en 1224, en Catalogne (1232), en Aragon (1233), dans la Romagne (1252), la Toscane (1258), à Venise (1289), où, à partir de 1554, elle devint une institution politique. « Au commencement, dans le Milanais, les hérétiques n’étaient point soumis à la peine de mort, parce que le pape n’était pas assez respecté de l’empereur Frédéric qui possédait cet État ; mais peu de temps après, on brûla les hérétiques à Milan, comme dans les autres endroits de l’Italie, et quelques milliers d’hérétiques s’étant répandus dans le Crémasque, petit pays enclavé dans le Milanais, les frères Dominicains en firent brûler la plus grande partie et arrêtèrent par le feu les ravages de cette « peste ». » (Paramo : Histoire de l’Inquisition).

L’Inquisition s’est toujours de plus en plus éloignée, dans le cours de son développement, de tout principe de justice. Innocent IV (1243-54) s’est tout particulièrement complu à augmenter encore les pouvoirs des inquisiteurs. Il ordonna d’appliquer la torture, ce qu’approuvèrent Alexandre IV, Clément IV, Calixte III. À ce moment il suffisait d’un simple soupçon pour provoquer l’application de la torture et l’on considérait comme une grâce d’être enfermé à perpétuité entre quatre murs étroits, au pain et à l’eau. C’était l’époque où l’on faisait un devoir de conscience au fils de dénoncer son propre père, et de le livrer aux douleurs de la torture, au cachot éternel ou aux flammes du bûcher… Alors, on taisait à l’accusé les noms des témoins ; on lui refusait en outre tout moyen légal de se défendre ; il était impossible d’en appeler à un autre tribunal, ou à une juridiction supérieure, et l’on n’accordait pas davantage le choix ni l’assistance d’un jurisconsulte. Qu’un juriste eût osé se permettre de défendre un accusé, et il eût été immédiatement frappé d’excommunication. Deux témoins suffisaient pour amener la condamnation d’un homme, et le témoignage de n’importe quel individu était valable.

Il était interdit à l’inquisiteur d’user de douceur ou de ménagement : la torture, sous sa forme la plus horrible, était le moyen ordinaire d’obtenir des aveux. Aucune rétractation ne pouvait sauver l’accusé, et l’assurance que sa foi était en tout conforme à celle de ses juges ne le servait point, davantage. On lui accordait la confession, l’absolution et la communion ; c’est-à-dire donc, qu’au forum du sacrement, on croyait à l’affir-

mation qu’il donnait de son repentir et du changement de ses pensées, mais, en même temps, si c’était un récidiviste, on lui déclarait que, juridiquement on ne le croyait pas, et, par conséquent il lui fallait mourir… Enfin, pour combler la mesure, on dépouillait sa famille innocente de tous ses biens, en vertu d’une confiscation légale : la moitié de sa fortune passait entre les mains des inquisiteurs, l’autre moitié était expédiée à Rome à la Chambre du pape. Innocent III dit qu’on ne devait laisser aux fils de l’hérétique que la vie, et ceci encore par miséricorde. Les enfants étaient également déclarés incapables d’exercer des fonctions civiles ou de recevoir une dignité quelconque.

Mais nulle part l’Inquisition ne fit de ravages comme en Espagne. En 1473, Sixte IV rendit l’inquisition d’Espagne indépendante. Il nomma pour ce pays un inquisiteur général, sorte de souverain délégué, et qui était chargé de nommer des inquisiteurs particuliers. Voici comment s’exprime Michelet, au sujet de l’inquisition d’Espagne : « On n’avait rien vu de pareil depuis les Albigeois. Par la ruine et la faim, par la catastrophe d’une fuite subite, pleine de misères et de naufrages, périrent en dix années presque un million de Juifs, presque autant de Maures. L’Inquisition emplit l’Espagne de sa royauté. Elle dressa aux portes de Séville son échafaud de pierre, dont chaque coin portait un prophète, statues de plâtre creux où l’on brûlait des hommes : on entendait les hurlements, on sentait la graisse brûlée, on voyait la fumée, la suie de chair humaine, mais on ne voyait pas la face horrible et les convulsions du patient. Sur ce seul échafaud d’une seule ville, en une seule année 1481, il est constaté qu’on brûla deux mille créatures humaines, hommes ou femmes, riches ou pauvres, tout un peuple voué aux flammes. Quatorze tribunaux semblables fonctionnaient dans le royaume. Pendant ces premières années surtout, de 1480 à 1498, sous l’inquisiteur général Torquemada, l’Espagne entière fuma comme un bûcher.

« Exécrable spectacle !, et moins encore que celui des délations. Presque toujours c’était un débiteur qui, bien sûr du secret, venait de nuit porter contre son créancier l’accusation qui servait de prétexte… Tout le monde y gagnait, l’accusateur, le tribunal, le fisc. L’appétit leur venant, ils imaginèrent, en 1492, la mesure inouïe de la spoliation d’un peuple. Huit cent mille Juifs apprirent, le 31 mars, qu’ils sortiraient d’Espagne le 31 juillet. Ils avaient quatre mois pour vendre leurs biens, opération immense, impossible ; et c’est sur cette impossibilité que l’on comptait ; ils donnèrent tout pour rien, une maison pour un âne, une vigne pour un morceau de toile. Le peu d’or qu’ils purent emporter, on le leur arrachait sur le chemin ; ils l’avalaient alors ; mais, dans plusieurs pays où ils cherchèrent asile, on les égorgeait, pour trouver l’or dans leurs entrailles.

« Ils s’enfuirent en Afrique, en Portugal, en Italie, la plupart sans, ressources, mourant de faim… Des maladies effroyables éclatèrent dans cette tourbe infortunée et gagnèrent l’Europe. L’Italie vit avec horreur 20.000 Juifs mourir devant Gênes… Une aridité effroyable s’empara du pays. En chassant les Maures et les Juifs, l’Espagne avait tué l’agriculture, le commerce, la plupart des arts. Eux partis, elle continua l’œuvre de mort sur elle-même, tuant en soi la vie morale, l’activité d’esprit. » (Histoire de France, Flammarion, édit.).

Sous la poussée douloureuse et hardie de l’esprit de libre-examen, l’Inquisition dût éteindre un à un ses bûchers. En France, elle fonctionna cependant — au ralenti — jusqu’en 1772, où la Dubarry fit chasser le dernier inquisiteur : André Dulort. En Espagne, un décret de Napoléon l’abolit, le 4 novembre 1808. Mais elle fut rétablie en 1814 par Ferdinand VII. Un dernier autodafé eut lieu à Valencia en 1823, mais l’Inquisition jugea et condamna encore jusque vers 1860.