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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/416

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4o Enfin, que l’homme sera récompensé ou puni dans une vie future, suivant qu’il aura ou non conformé ses actions à la règle révélée.

Il est évident qu’il ne suffit pas au législateur de se borner à affirmer les propositions énoncées plus haut ; il faut de plus qu’il en empêche l’examen. Tant qu’il réussit — dans l’ignorance — à comprimer l’examen, l’ordre, par la foi ou le despotisme, existe. Or, parmi les principaux moyens de comprimer l’examen, les uns sont relatifs à la richesse matérielle, les autres à la richesse intellectuelle ou aux développements de l’intelligence, et les derniers enfin aux communications entre des despotismes ou révélations limitrophes.

Les premiers moyens de durée du despotisme sont :

1o L’esclavage, et le pouvoir de disposer de la vie de l’homme, érigés en droit ; 2o L’aliénation du sol à des individus, et sa transmission par hérédité.

Les seconds moyens despotiques sont :

1o Le monopole des développements de l’intelligence, dont le résultat est le maintien des masses dans l’ignorance ; 2o L’inquisition pour la foi, tendant à subordonner l’instruction à l’éducation.

Parmi les troisièmes moyens, on trouve ;

1o L’établissement des douanes, destinées entre autres choses à gêner autant que possible les communications entre les peuples voisins ; 2o L’exaltation des passions, sous les noms de fanatismes religieux et de patriotisme, au profit de chaque despote, rendant ennemis les différents peuples, et même les diverses fractions d’une même circonscription.

Ces dernières mesures ont pour but principal d’empêcher les révélations de s’examiner et de se détruire réciproquement. « Quel ébranlement pour les consciences, dit E. Renan, le jour où l’on vient à reconnaître qu’à côté du dogme que l’on croyait unique, il en est d’autres qui prétendent aussi venir du ciel ».

Tous les moyens mis en usage par le despotisme pour prolonger son existence, ont pour but et pour effet, en définitive, d’empêcher l’examen du droit. « Quand la populace se mêle de raisonner, dit Voltaire, tout est perdu ». Proudhon fait aussi cette observation relativement à la nécessité de comprimer l’examen ; « La première chose, remarque-t-il, à laquelle doive travailler la communauté, aussi bien que la religion, c’est d’étouffer la controverse, avec laquelle aucune institution n’est sûre et définitive ».

Mais il y a deux espèces d’examens : l’un individuel, intérieur, silencieux ; l’autre se manifestant à l’extérieur, soit verbalement, soit scripturalement. La première espèce d’examen peut-être plus ou moins empêchée : par une éducation imposée, faisant accepter que l’examen du droit, par conséquent de l’anthropomorphisme, est un crime ; par la monopolisation des développements de l’intelligence, qui laisse dans l’ignorance les masses exploitées par les minorités ; et par l’aliénation du sol, qui donne naissance au paupérisme, en obligeant ces mêmes masses à un travail continuel pour pouvoir subsister… La nécessité de l’existence du paupérisme pour le maintien de l’ordre a été parfaitement reconnue par M. Guizot : « Le travail, dit-il, est une garantie efficace contre la disposition révolutionnaire des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ».

La seconde espèce d’examen, qui se manifeste à l’extérieur, est facilement empêchée par une inquisition. Mais une inquisition nécessite des inquisiteurs. Ces inquisiteurs se considèrent comme au-dessus de l’inquisition. Ils examinent. Ils se communiquent même les résultats de leur examen, ne fût-ce que pour connaître ce qui peut saper le droit, ce qui peut détruire l’inquisition, ce qui peut soustraire au joug les masses qu’ils exploitent. » (A. de Potter). Le sacerdoce tout entier ne

tarde pas à connaître les résultats de cet examen et dès lors, la révélation en son ensemble est en péril.

Tant que le nombre des individus : philosophes, savants, clercs, sociologues, n’est pas très élevé, il est facile à l’inquisition d’intervenir sans former de tribunaux. Mais vient un jour où le nombre des libre-examinateurs, ou libre-penseurs, est tellement considérable que leurs théories vont se glisser dans le peuple et le dresser contre le dogme. L’Église est placée devant l’alternative ou de disparaître ou de sévir rudement. Le pouvoir royal, de droit divin, qui tire sa puissance son autorité, de la croyance des foules au dogme religieux, est menacé en même temps. L’Église catholique se trouva, au xiiie siècle, devant un nombre tel d’individus émettant des opinions contraires à l’orthodoxie, qu’elle en fut épouvantée. Et elle écrivit dans l’histoire pendant 300 ans, les pages les plus sombres, où nous pouvons lire l’inouï martyre de la conscience humaine se dégageant lentement du servage et de l’ignorance.

Aujourd’hui, d’adroits jésuites nous présentent l’Inquisition comme l’institution la plus humaine et la plus juste. Pendant ces siècles de mort intellectuelle de censure impitoyable, l’Église brûlait tout écrit qui aurait pu transmettre aux générations de l’avenir l’écho de ces barbares turpitudes. Et cependant, malgré ce bâillon, les chroniques qui ont échappé à l’Index, nous disent ce que la douce Église fit couler de larmes et de sang.

Les archives de l’Inquisition ont été en partie visitées, et l’histoire a pu établir, en assemblant tous ces matériaux, les crimes de l’Inquisition. Le Concile de Vérone (1184) décréta l’établissement d’une juridiction spéciale destinée il poursuivre les hérétiques. Ce décret est le germe de l’Inquisition. Les doctrines hétérodoxes faisant de grands progrès dans le Midi de la France, Innocent III confia, (1203) à deux moines de l’abbaye de Cîteaux, les frères Guy et Reynier, le soin de poursuivre les hérétiques de cette région. Mais sans appui des autorités locales, ils durent renoncer à leur mission.

L’année suivante (1204), le pape nomma grand inquisiteur pour le Languedoc son légat : Pierre de Castelnau, autre moine de Cîteaux. Ses premières affaires lui furent funestes, il fut assassiné en 1208. En ce moment, zélé et énergique, celui qui devait être saint Dominique, prêchait dans le Languedoc. Innocent le désigna pour le remplacement de de Castelnau. Dominique est le véritable fondateur de l’Inquisition. Il créa un ordre religieux : les Dominicains, dont la mission fut de fournir des magistrats disposés à favoriser les intentions de l’Église contre les hérétiques. Cet ordre fut approuvé en 1216 par Honorius III.

De 1200 à 1500, sans interruption, se déroule la longue série des ordonnances papales sur l’Inquisition et généralement sur tout ce qui se rattache à la marche à suivre contre l’hérésie : ces ordonnances augmentent de l’une à l’autre en dureté et en cruauté. C’est une législation essentiellement inspirée par un même esprit. Chaque pape qui monte sur le trône confirme les dispositions de ses prédécesseurs et ajoute un étage à l’édifice qu’ils ont commencé. Chacun des mots de cette législation court à un seul et même but : l’extirpation absolue de toute déviation de la foi… La lutte contre les hérétiques fut d’abord menée militairement. Le comte de Montfort prit d’assaut la ville de Béziers et sous les hospices de Sainte-Madeleine, en fit massacrer tous les habitants. À Laval, en une seule fois, on brûla 400 Albigeois.

Le Concile de Latran (1215) et Toulouse (1229), firent de l’Inquisition un tribunal permanent. Des légats du pape, en 1229, poussèrent Louis IX (véritable captation, puisque saint Louis n’avait alors que 14 ans) à rendre cette loi cruelle qui ordonnait de brûler tous ceux qui s’écarteraient de la foi. L’empereur Frédéric II, occupé à écraser les Guelfes en Italie, à une époque où tout