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JES
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briand, Journal d’un Conclave, cité Revue des Revues, 15 janvier 1896.)

Quelle condamnation plus sévère pourrions-nous invoquer que celle du très clérical auteur du « Génie du Christianisme » ?

Du fonctionnement de la Compagnie. — Après ce rapide exposé de la vie historique de la Compagnie de Jésus, il nous faut à présent — toujours très rapidement — dire quelques mots de son fonctionnement intérieur, de ses règles, de ses méthodes.

Les Jésuites sont divisés en 4 catégories : les novices, les scolastiques, qui prononcent les premiers vœux monastiques, étudient pendant 5 ans et professent pendant 5 ou 6 ans. L’écolier est ensuite renvoyé en théologie, où il étudie de nouveau pendant 4 ou 6 ans. Il arrive donc au sacerdoce vers 32 ou 33 ans, il passe une année dans la méditation et accède au rang de coadjuteur et renouvelle les trois vœux religieux. Enfin, les profès, qui sont seuls astreints au quatrième vœu, le vœu d’obéissance au pape. Tous les supérieurs et dirigeants de la Compagnie sortent des profès.

La Compagnie est divisée en 22 provinces et, tous les 3 ans, chaque province se réunit en congrégation particulière, choisit un profès, délégué auprès du général. Ces délégués forment la congrégation des procureurs, qui décide s’il y a lieu de convoquer une congrégation générale (formée de tous les supérieurs des provinces). Cette congrégation générale nomme le général de la Compagnie et les six assistants.

En théorie, les assistants peuvent contrôler et même déposer le général, mais il n’y a pas d’exemple que le fait se soit jamais produit. Le général a d’ailleurs le droit de suspendre les assistants qui lui déplaisent et même de les chasser de l’ordre, ce qui lui confère un pouvoir absolu.

Chaque supérieur est souverain dans sa Maison. Il a le droit de décacheter les lettres adressées à tous les Jésuites placés sous ses ordres ; il peut même ne pas les leur remettre si bon lui semble. Un théologien éminent d’Angleterre, le P. Tyrell, est sorti de la Compagnie parce qu’une telle exigence était devenue insupportable pour sa dignité (voir le récent ouvrage sur le Modernisme catholique, par M. Buonaiuti).

Il faudrait dire aussi deux mots des « Jésuites de robe courte », instruments dociles, non affiliés à la Compagnie, que l’on peut utiliser pour diverses besognes, sans compromettre ladite Compagnie, car il est toujours possible de se désolidariser d’avec eux.

À notre époque, où la corruption politique est si grande, il n’est pas douteux que les créatures et les instruments des Jésuites ont pénétré tous les milieux.

La forte discipline de la Compagnie la met à l’abri des scandales, car il est assez difficile de savoir ce qui se passe dans son sein. Quelques rayons de lumière filtrent pourtant de temps à autre et les paroles du Père Jean Mariana (Jésuite) sont assurément toujours vraies :

« Quelque faute qu’un des membres de la Société ait commise, pourvu qu’il ait beaucoup d’audace et de ruse et sache voiler sa conduite, l’affaire en reste là. Je ne parle pas des crimes les plus grossiers dont on pourrait faire un dénombrement assez grand et qu’on dissimule, sous prétexte qu’il n’y a pas de preuves suffisantes ou de peur que cela ne fasse du bruit et ne nuise à l’ordre… Parmi nous, les bons sont affligés et même mis à mort, sans cause ou pour des causes très légères, parce qu’on est assuré qu’ils ne résisteront pas. On en pourrait rapporter plusieurs exemples fort tristes. Quant aux méchants, on les supporte parce qu’on les craint. » (Des maladies de la Compagnie de Jésus, cité par Boucher, I, 103.)

Collin de Plancy, dans son livre en faveur des Jésuites (Paris, 1870), déclare que le livre de Mariana, accablant pour la Compagnie, est l’œuvre d’un faussaire, mais il

ne fournit aucun argument à l’appui de son affirmation. C’est une vieille tactique des Jésuites (ces maîtres faussaires !) de déclarer apocryphe tout texte qui les accuse ou tout document qui les gêne…

L’obéissance chez les Jésuites. — Toutes les religions sont assises sur le renoncement individuel et sur la tyrannie des prétendus ministres de Dieu. De toutes les religions, la catholique est assurément l’une des plus autoritaires, mais, dans les rangs catholiques, personne n’a poussé aussi loin que les Jésuites, le despotisme des chefs et des supérieurs.

Ignace a gouverné la Compagnie tout seul et sans aucun contrôle. Il ne sollicita jamais de conseils. « Le Père Maître Ignace était père et seigneur absolu et faisait tout ce qu’il voulait », a pu écrire le P. Bobadilla. Le pape Paul IV, de son côté, a reconnu qu’Ignace avait régi la Compagnie « tyranniquement ». Nos critiques ne sont donc nullement exagérées.

Pour obtenir cette omnipotence, Ignace avait trouvé un système très simple, employé du reste par tous les fondateurs de religions. Il était l’élu de Dieu. Lui obéir, c’était obéir à Dieu même. En 1521, à Manrèse, n’avait-il pas reçu, comme je l’ai dit, directement de Dieu, au cours d’une extase, la révélation complète des principes et des règles du futur Institut des Jésuites ? Son collaborateur, le P. Jérôme Nadal, appelait cette révélation « une sublime illumination de son esprit par un singulier bienfait de Dieu ». La substance de cette prétendue révélation ne méritait pourtant pas une telle admiration… En tout cas, Ignace avait l’habitude, pour justifier ses décisions, de se contenter de dire : « Je m’en rapporte à Manrèse », ce qui coupait court à toute objection.

Dans ses Exercices, Ignace veut que « nous ne désirions quant à nous pas plus la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que la honte, une vie longue qu’une vie courte, et ainsi de suite pour tout le reste, voulant et choisissant seulement ce qui nous conduit le mieux à la fin que nous poursuivons… »

Et cette « fin », on sait qu’elle consistait uniquement dans la grandeur et dans la puissance de la Compagnie.

L’abbé Mir emprunte aux Monumenta Ignatiana une anecdote curieuse. Deux Jésuites en s’amusant s’étaient jetés un peu d’eau à la figure. Grande colère d’Ignace, qui n’hésita pas à les punir cruellement, pour une « faute » aussi bénigne, les condamnant à faire pénitence publique, à manger à une table spéciale, les mains attachées, à passer le dimanche à l’écurie et à manger avec les mules, etc. Tout ceci pour un amusement sans conséquence ! On juge par ce petit exemple de la sévérité que Loyola tint à maintenir dans sa Compagnie.

Dès les origines, nous assistons aux plus grands éloges de l’obéissance. Le Mémoire ou résumé des premières délibérations des fondateurs de la Compagnie (1539) rédigé, soit par le P. Jean Coduré, soit par François-Xavier lui-même, déclare en effet que : « Rien n’abat toute superbe et toute arrogance comme l’obéissance car le superbe s’enorgueillit de suivre ses propres lumières et son propre vouloir, ne cède à personne, s’exalte en grandeurs et en émerveillements sur soi-même. Mais l’obéissance engage dans une voie diamétralement contraire, car elle suit toujours le jugement d’autrui et la décision des autres ; elle cède à tous et s’allie étroitement avec l’humilité, car elle est l’ennemie de l’orgueil. »

Pour vaincre l’orgueil, on foule aux pieds la personnalité humaine, le libre examen, l’esprit critique. Et l’on arrive à développer… l’hypocrisie, la fourberie, le mensonge qui sont devenus les « qualités » essentielles de la Compagnie. À tel point que le mot « jésuitisme »