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mais des baptisés (ce qui était une aggravation aux yeux de ce singulier chrétien).

Déjà, la bulle papale du 20 décembre 1741 avait interdit aux Jésuites — vainement — « d’oser à l’avenir mettre en servitude les Indiens du Paraguay, de les séparer de leurs femmes et de leurs enfants, de les acheter ou de les vendre ». On frémit en songeant qu’une telle tyrannie sévit pendant deux siècles !

En 1768, les Franciscains avaient partout remplacé les Jésuites. Ce serait un leurre que de croire que le sort des indigènes en fut grandement amélioré.

J’ai sous les yeux une photographie représentant des indigènes colombiens obligés de fuir devant les mauvais traitements des missionnaires (1924). Les Missions Evangéliques font régner une véritable terreur en SierraNevada, confisquant les biens des indigènes pour les obliger à travailler pour eux, leur appliquant les plus humiliants systèmes de punition, etc. (El Espectator, de Bogota (Colombie), N° du 14 avril 1924).

En 1918, le Dr  Medina interpellait à la Chambre colombienne et dévoilait les agissements scandaleux des moines capucins dans les missions de Putumayo, dépouillant et exploitant les Indiens, avec autant d’âpreté que les anciens Jésuites du Paraguay.

Il en est de même partout. The Freethinker, parlant des Missions Chrétiennes en Nouvelle-Guinée, dit qu’elles n’ont enseigné aux indigènes que l’art de mentir. Aux Iles Philippines, les missions possèdent de grandes plantations et frappent d’interdit toute tentative d’organisation syndicale. En Cochinchine, colonie française, les missionnaires détiennent le quart du territoire. Partout la même avidité et la même tyrannie.

Afrique. — Terminons ce rapide voyage, car nous nous exposerions à des répétitions inutiles. La cause des Jésuites est jugée. Contentons-nous simplement d’indiquer qu’ils ont également essayé de pénétrer en Afrique.

Leur action y fut moins efficace. Certains de leurs agents s’y rendirent pourtant pour y chercher des cargaisons de nègres, qui étaient transportés et répartis dans les différentes possessions jésuites (Mexique, Paraguay, etc.), ou revendus pour couvrir les frais de l’expédition. Esclavagisme, traite des noirs, formes les plus écœurantes de l’oppression, voilà l’œuvre de la prétendue charité chrétienne, dont certains hypocrites nous rebattent quotidiennement les oreilles.

Ne pouvant tirer grand-chose des nègres (à moins de les vendre), les Jésuites s’infiltrèrent dans un pays plus évolué, l’Abyssinie. Leur arrivée dans ce pays fut le signal de sa décadence (Ernest Renan, Histoire générale des langues sémitiques). Quand ils le quittèrent, il était plongé dans une barbarie profonde et il n’en est plus guère sorti par la suite.

Dissolution de la Compagnie. — Excédés par ces pratiques inhumaines, les gouvernants de divers pays finirent par se révolter contre le parasitisme des descendants d’Ignace. Ils seront successivement expulsés de la plupart des nations européennes : Angleterre, Hollande, France, Portugal, Espagne, etc.

Le Portugal, qui leur avait fait tant de bien (et qui en avait été si mal récompensé), embarque ses 200 Jésuites en 1759, sur un bateau — qui prend la route de Rome.

L’Espagne (et pourtant les Jésuites avaient toujours servi sa politique fanatique) suivra elle-même cet exemple en 1767. 6000 Jésuites sont embarqués pour Rome, mais à Civita Vecchia on refuse de les laisser débarquer et les autorités papales les reçoivent à coups de canon.

Au sein même de l’Église, la Compagnie a été violemment combattue par saint Charles Borromée, sainte Thérèse de Jésus, par les papes Paul IV, saint Pie V, etc., etc. En 1653, les curés de Paris sont unanimes à se dresser contre la Compagnie et publient une série

de neuf lettres documentées qui forment un implacable réquisitoire contre les théories des casuistes, du probabilisme, des cas de conscience, l’apologie du meurtre (par le P. Lamy), etc. Tout le clergé de France était, on peut le dire, unanime à répudier les principes et l’action des Jésuites. Hélas ! nous sommes bien éloignés aujourd’hui de cet état d’esprit, car le jésuitisme a conquis l’Église tout entière et la gouverne à son gré.

Le Parlement de Paris et les Parlements provinciaux ont condamné à maintes reprises la Compagnie. J’ai sous les yeux, par exemple, le « Compte rendu des Constitutions des Jésuites », par Jean-Pierre-François de Ripert de Monclar, procureur général du Roy au Parlement de Provence, les 28 mai, 3 et 4 juin 1762. L’auteur montre que les Constitutions des Jésuites, tenues secrètes au début, sanctionnent le despotisme du Général, dépouillent les dupes qui entrent dans la Compagnie, font un dogme de l’obéissance servile, foulent aux pieds la morale lorsque l’intérêt de la Compagnie l’exige, etc. Monclar cite ce conseil des Constitutions, bien digne de figurer dans les Monita Secreta : « S’il a du crédit (le Jésuite) qu’il le cache soigneusement, parce que la haine qui pourrait en résulter pour la Société serait un grand préjudice pour elle. » (p. 212). Toujours dans l’ombre et sournoisement ils travaillent.

La banqueroute du P. La Valette aux Antilles vint mettre le comble au mécontentement public. Pratiquant la traite des nègres et exploitant d’immenses plantations, les Jésuites, pour accroître leurs bénéfices (qui dépassaient 1 million de francs pour la seule année 1753) s’étaient fait banquiers, recevaient des fonds et ne remboursaient pas leurs créanciers. Le Parlement rendit tout l’ordre responsable de la déconfiture, qui atteignit plusieurs millions. Enfin, en 1762, un arrêté fortement motivé chassait de France l’encombrante Compagnie (voir plus loin).

Le pape Clément XIV céda aux remontrances qui lui étaient faites, en particulier par l’Espagne et l’Autriche et se résolut à frapper l’ordre fameux, qui avait été si longtemps protégé par la Papauté, malgré ses crimes. En 1773, il signa le bref célèbre Dominus ac Redemptor, qui prononçait la dissolution complète de la Compagnie de Jésus.

Les Jésuites assurent que le Pape eut la main forcée, ce qui n’est pas lui attribuer un grand courage. Plutôt que de commettre une injustice, n’eût-il pas dû résister jusqu’aux plus extrêmes conséquences ?

Ils prétendent également que la décision papale fut la conséquence d’un regain de calvinisme et de jansénisme (voir Ravignan, Institut des Jésuites, p. 12 ; Jean Guiraud (de La Croix), Histoire partiale, histoire vraie, IV, p. 383), ce qui n’est pas flatteur non plus pour l’infaillibilité dudit pape.

En réalité, la Cohorte Ignacienne n’était plus défendable. L’humanité devait se débarrasser d’elle — ou périr sous sa loi effrayante.

Au moment de leur expulsion, les Jésuites français possédaient encore pour plus de 60 millions de biens. Bochmer évalue la fortune immobilière globale de la Compagnie à plus de un milliard 250 millions. Ces chiffres ne sont-ils pas éloquents ?

Le P. de Ravignan cite avec plaisir dans son livre une pensée très élogieuse de Chateaubriand sur les Jésuites. Il se garde bien d’indiquer que le génial écrivain avait changé d’avis à leur endroit dès qu’il eût appris à les connaître. Il écrivit en effet ceci :

« Je dois avouer que les Jésuites m’avaient semblé trop maltraités par l’opinion. J’ai jadis été leur défenseur et depuis qu’ils ont été attaqués dans ces derniers temps, je n’ai dit ni écrit un seul mot contre eux. J’avais pris Pascal pour un calomniateur de génie, qui nous avait laissé un immortel mensonge ; je suis obligé de reconnaître qu’il n’a rien exagéré… » (Chateau-