Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MAS
1450

jours marché la main dans la main lorsqu’il s’est agi de mieux asservir les peuples.

Voltaire, a fait le décompte des victimes immolées au saint nom du Dieu des chrétiens. Le total se montait à neuf millions sept cent dix-huit mille huit cents (9.718.800). Encore avait-il, de bonne foi, réduit tantôt de moitié, tantôt d’un tiers les rapports des historiens. Voici un abrégé du dénombrement fait par Voltaire et donné par Pigault-Lebrun (Le Citateur) : L’an 251, Novatien disputait la papauté au prêtre Corneille. Dans le même temps, Cyprien et un autre prêtre, nommé Novat, qui avait tué sa femme à coups de pieds dans le ventre, se disputaient l’épiscopat de Carthage. Les chrétiens des quatre parties se battirent, et il y a modération en réduisant le nombre des morts à deux cents, à… 200.

L’an 313, les chrétiens assassinent le fils de l’empereur Galère ; ils assassinent un enfant de huit ans, fils de l’empereur Maximin, et une fille du même empereur, âgée de sept ans ; l’impératrice, leur mère, fut arrachée de son palais, et traînée avec ses femmes par les rues d’Antioche et l’Impératrice, ses enfants et ses femmes furent jetés dans l’Oronte. On n’égorge pas, on ne noie pas toute une famille impériale sans massacrer quelques sujets fidèles, sans que les sujets fidèles ne perforent quelques égorgeurs ; portons encore le nombre des morts à deux cents, ci… 200.

Pendant le schisme des donatistes en Afrique, on peut compter au moins quatre cents personnes assommées à coups de massue, car les évêques ne voulaient pas qu’on se servit de l’épée, parce que l’Église abhorre le sang, ci… 400.

La consubstantialité mit l’Empire en feu à plusieurs reprises ; et désola pendant quatre cents ans des provinces déjà dévastées par les Goths, les Bourguignons, les Vandales. Mettons cela à 300.000 chrétiens égorgés par des chrétiens, ce qui ne fait guère que sept à huit cents par an, ce qui est très modéré.

La querelle des Iconoclastes et des Iconolâtres n’a pas certainement coûté moins de soixante mille vies.

L’impératrice Théodore, veuve de Théophile, fit massacrer, en 845, cent mille manichéens. C’est une pénitence que son confesseur lui avait ordonné, parce qu’il était pressé, et qu’on n’en avait encore pendu, empalé, noyé que vingt mille, ci… 120.000.

N’en comptons que vingt-mille dans les vingts guerres des papes contre papes, d’évêques contre évêques, c’est bien peu : ci… 20.000.

La plupart des historiens s’accordent et disent que l’horrible folie des croisades coûta la vie à deux millions de chrétiens. Réduisons le compte de moitié, et ne parlons pas des Musulmans tués pas les chrétiens.

La croisade des moines-chevaliers-porte-glaives, qui ravagèrent tous les bords de la Baltique, peut aller au moins à cent mille. (100.000).

Autant pour la Croisade contre le Languedoc, longtemps couvert des cendres des bûchers (100.000).

Pour les Croisades contre les Empereurs depuis Grégoire VII, nous n’en compterons que trois cent mille.

Au quatorzième siècle le grand schisme d’Occident couvrit l’Europe de cadavres ; réduisons à cinquante mille les victimes de la « rabbia papale ».

Le supplice de Jean Huss et de Jérôme de Prague fit beaucoup d’honneur à l’empereur Sigismond, mais il causa la guerre des Hussistes, pendant laquelle nous pouvons hardiment compter cent cinquante mille morts.

Les massacres de Mérindol et de Cabrières sont peu de chose après cela : vingt-deux gros bourgs brûlés ; (les enfants à la mamelle jetés dans les flammes ; des filles violées et coupées en quartiers ; des vieilles femmes qui n’étaient plus bonnes à rien, et qu’on faisait sauter par le moyen de la poudre à canon qu’on leur

enfonçait dans les deux orifices ; les maris, les pères, les fils, les frères, traités à peu près de même ; tout cela ne va qu’à dix-huit mille, et c’est bien peu.

L’Europe en feu depuis Léon X jusqu’à Clément IX ; le bois renchéri dans plusieurs provinces par la multitude des bûchers ; le sang versé à flots partout ; les bourreaux lassés en Flandre, en Hollande, en Allemagne, en France, et même en Angleterre ; la Saint-Barthélémy, les massacres des Vaudois, des Cévennes, d’Irlande, tout cela doit aller au moins à deux millions.

On assure que l’Inquisition a fait brûler quatre cent mille individus. Réduisons encore de moitié, 200.000.

Las Casas, évêque espagnol, et témoin oculaire, atteste qu’on a immolé à Jésus, douze millions des naturels du Nouveau-Monde. Réduisons cela à cinq millions ; c’est être beau joueur, ci… 5.000.000.

Réduisons, avec la même économie, le nombre des morts pendant la guerre civile du Japon ; on le porte à quatre cent mille, et je n’en compterai que trois cent mille, ci 300.000. Total : 9.718.800.

L’énoncé de Voltaire mériterait certes d’être continué. Tant de sang pour instaurer le règne du pape et des prêtres, cela fait frémir d’horreur et de rage. On ne sait ce qu’il faut le plus : ou maudire la duplicité sanglante de l’Église, ou plaindre l’incommensurable sottise des fanatiques massacreurs. Voltaire donne ici, en bloc, le compte des victimes du christianisme ; il faut nous arrêter plus particulièrement sur les massacres proprement dits, qui jalonnent l’histoire, douloureusement. C’est tout le Calvaire de la Pensée libre et de l’Individu qui s’inscrit ici en lettres de sang.

Tantôt pour le pape, tantôt pour le roi ; pour défendre « la règle », ou la propriété ; pour faire des adeptes en les dérobant aux autres révélations, ou pour agrandir la propriété seigneuriale ou nationale en volant celle des autres, des millions d’hommes se sont entr’égorgés, massacrés. Et quand le libre-examen devient théoriquement la seule règle du Droit, les sociétés débarrassées des luttes religieuses et seigneuriales, manœuvrées par des forbans de la banque et de l’industrie, du commerce et de l’agio au nom de la civilisation, de la Patrie, du Droit, de l’Honneur, se ruèrent les unes contre les autres. Des milliers de prolétaires, puis des millions, jonchèrent les champs de carnage. Amenés au loin, dans les « colonies », les soldats (fils du peuple) gavés d’alcool, ignorants et ignobles, toujours au nom de la civilisation, et pour le plus grand profit des banques, massacrèrent des populations entières sans excepter femmes et enfants.

La Propriété et le Pouvoir : l’Autorité ! voilà l’hydre qu’il faut abattre pour que ne se renouvellent plus jamais ces massacres stupides et terrifiants. De se savoir seuls attelés à une telle œuvre, les anarchistes comprendront-ils l’effort inouï qu’ils doivent fournir ?

Nous ne pouvons ici que signaler brièvement quelques-uns des principaux massacres dont l’histoire nous a conservé le souvenir. Certains emplissent des volumes ; nos lecteurs devront recourir aux ouvrages spéciaux dont il sera parlé au dernier volume de cette Encyclopédie.

Massacre de Vitry 1137. ‒ Louis VII succède à Louis le Gros. Une guerre terrible éclate entre lui et Thibault, comte de Champagne, qui avait pris la défense de Pierre de la Châtre, archevêque de Bourges, promu à ce siège par le pape, contre la volonté du roi. Louis VII marcha contre la Champagne, mit tout à feu et à sang, assiégea la ville de Vitry, et après avoir fait violer les femmes et massacrer les habitants, il eut la barbarie de faire murer les portes d’une église où quinze cents personnes s’étaient réfugiées comme dans un asile inviolable et sacré ; ensuite, il y fit mettre le feu…