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MAS
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coopératives, etc., sera-t-elle utile ou non à l’action créatrice des masses ? Cette action, se produira-t-elle d’une façon entièrement spontanée (organisations et groupements surgissant au moment même de l’action, individus actifs, etc.) ou d’une manière qui mettra les organisations ouvrières existantes à la base de l’œuvre créatrice ?

J’ai la ferme conviction qu’il ne sera pas question de ou, mais de et. Bien entendu, les organisations existantes seront indispensables et joueront un grand rôle dans les événements. Je suis même d’avis que l’absence d’organisations ouvrières en Russie avant la révolution fut l’une des causes principales de sa faillite. Mais ceci ne m’empêche pas de prévoir que les masses non-organisées déploieront, elles aussi, une belle activité, créant des organisations spontanées de grande importance, faisant naître toutes sortes d’associations et de groupements légers, « mobiles », constitués ad hoc, et dont l’action complètera très utilement celle des organisa « fixes ». Et je pense que des individus actifs, doués, instruits, dévoués, surgis des profondeurs des masses, auront aussi des tâches importantes à accomplir (autres que de se saisir du pouvoir politique et de former un gouvernement). Là, encore, je prévois une synthèse de tous les facteurs, de toutes les forces utiles à l’œuvre : et les organisations ouvrières existantes, et les masses non-organisées agissant spontanément, et l’action individuelle, tous ces éléments auront leur mot à dire, leur rôle à jouer, pourvu que cette activité se déploie dans une ambiance de liberté entière, c’est-à-dire, en l’absence de tout gouvernement nouveau, l’ancien une fois jeté bas par la révolution.



Encore quelques mots. Comme le lecteur s’en rend certainement compte lui-même, il ne faut pas confondre les masses dont il a été question le long de notre exposé, avec la foule. La foule embrasse une agglomération plus ou moins fortuite, toujours momentanée, de gens de toute espèce, ou quelque chose d’encore plus vague. Une foule, c’est toujours un ensemble « mécanique » de personnes n’ayant entre elles aucun lien permanent, intime, organique. Or, quand nous parlons des masses, nous entendons sous ce terme des millions d’hommes liés entre eux « organiquement », et de façon permanente, par des qualités nettes et plus ou moins homogènes, menant une existence plus ou moins laborieuse, ayant à peu près les mêmes intérêts, la même culture générale, les mêmes aspirations et idéals. Je tiens à souligner ici cette différence, parce que la confusion est fréquente et qu’on attribue assez souvent aux « masses » des défauts propres à la « foule ».

Le lecteur pourrait se demander s’il existe une analyse sérieuse, un ouvrage d’allure scientifique sur la psychologie des masses. Constatons que le sujet n’a encore jamais été traité scientifiquement. Les psychologues et les sociologues se sont intéressés un peu, justement, à la « psychologie de la foule », ce qui ne nous intéresse pas ici. Il existe bien quelques ouvrages, peu scientifiques d’ailleurs, qui s’en occupent. Mais quant à la masse, on ne la connaît pas !

En ce qui concerne la littérature anarchiste, jusqu’à présent le problème n’y est qu’effleuré, d’une façon éparse et plutôt fortuite, dans divers articles de publications périodiques et dans quelques ouvrages d’ordre général. ‒ Voline.


MASSACRE s. m. (du bas allem. mastken, égorger). — Carnage, tuerie de gens qui ne peuvent se défendre. Par analogie : grande tuerie de bêtes. Fam. : Destruction d’objets nombreux. Populaire : Homme qui travaille mal, qui ne sait point exécuter convenablement

ce qu’on lui a donné à faire. Vénerie : Bois de cerf ou de daim dressé à l’endroit où l’on va donner la curée.

La lutte est la loi constante de la vie. Rien ne subsiste que d’entredévorement. Les minéraux sont décomposés par les végétaux qui, à leur tour, se ravissent leur substance. Les animaux mangent les végétaux et font, d’autres animaux, leur pâture. L’homme, animal tard venu sur le globe, malgré sa faculté de raisonner (apparente ou réelle) n’échappe pas à cette loi, ne peut pas y échapper ; mais alors que, dans le règne animal, rarement les individus d’une même espèce s’entretuent, chez l’homme c’est un fait normal et universel. Son instinct contrarié et complexe, sa faculté d’induire et de déduire, l’ont amené à considérer toute la nature comme un vaste champ d’expérience, où chaque individu peut être consommé, soit directement, soit dans les produits de son activité. Le seul critérium possible aux premiers âges de l’humanité, est la force. Sa force propre d’abord, sa force d’individu, puis celle de sa famille, de son clan, de sa tribu, celle enfin de son pays. Et aussi, dans le sein même de son clan, de sa tribu, sa propre force agissant sur les autres composants du milieu ; dans le pas, sa famille, son clan, son parti, agissant sur les autres individus ou les autres clans ou les autres partis.

La force, d’abord brute, toute d’agilité et de ruse, ne tarde pas à se sophistiquer. La force s’adjoint « le droit à la force », et le devoir de se soumettre à la force, non plus seulement du muscle et de la ruse, mais encore du raisonnement. Et cette force altérée, déviée, trouve son expression dans le gouvernement.

Le gouvernement puise sa force dans la croyance que les gouvernés ont de son droit à gouverner. Pour faire accepter cette foi, les prêtres enseignent l’existence d’un Dieu Tout-Puissant qui a révélé aux hommes sa loi. Cette loi est d’obéir au Prince : « Car toute autorité vient de Dieu » (Saint Paul). Ce Dieu, Justicier Suprême, invisible, mais toujours présent, punira de supplices inimaginables, quiconque transgressera sa loi.

Tant que les hommes, les peuples ne mettront pas en discussion la révélation, l’ordre règnera. Aussi le Pouvoir devra-t-il empêcher par tous les moyens l’examen de cette règle. Il y parvient : 1° En s’appropriant le sol et toute richesse sociale, maintenant ainsi les peuples dans la plus grande misère matérielle et intellectuelle ; 2° En supprimant incessamment tout individu qui ne se soumet pas à la règle.

Mais les révélations, les règles, sont aussi multiples que les groupements nationaux. Les guerres, le commerce, mettent en présence des individus ayant des croyances différentes. L’esprit critique se développe nécessairement et menace dans chaque groupe, dans chaque pays, la révélation, et partant : l’ordre. Le pouvoir du moment (religieux ou de prétention divine), sous peine de disparaître, doit se débarrasser des « fauteurs de désordre », il sévit brutalement. Ses tribunaux condamnent et quand les hérétiques, les indisciplinés sont trop nombreux ses soldats les massacrent par dizaines, par centaines, par milliers. Aussi l’histoire ; n’est-elle qu’une longue série de carnages, de massacres. Dans leur fureur aveugle, les reîtres tuent tout : femmes, vieillards, enfants. Tantôt, ces massacres se font au nom de Mahomet, tantôt au nom du Christ, tantôt au nom du Roi, du Prince, de la Patrie, de l’Idée. Mais si les peuples, spoliés, las d’être miséreux, se sont parfois soulevés contre les gouvernants et les ont massacrés, souvent, presque toujours, ce sont ceux-ci (absous par les juges, bénis par les prêtres) qui ont massacré le peuple. Prêtres et gouvernants, les uns s’appuyant sur les autres, ont tou-