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en dehors de l’enfant. Il y a des éléments intellectuels dans les facultés et les intérêts de l’enfant. « L’idée erronée d’après laquelle on peut, en faisant appel aux tendances spontanées et en ayant recours à de nombreux matériaux, se passer entièrement du travail logique, vient de ce qu’on ne se rend pas compte de la grande part jouée dans la vie de l’enfant par la curiosité, le raisonnement, l’expérience, la preuve. Nous sous-estimons ainsi l’élément intellectuel, c’est-à-dire le seul élément éducatif dans le jeu et le travail plus spontané de l’individu. Tout maître attentif à la manière dont la pensée intervient dans les expériences faites par l’enfant normal, évitera aisément de confondre la logique avec la préparation systématique préalable de la matière à enseigner ; il ne se figurera pas non plus que le seul moyen d’éviter cette erreur est de négliger toute considération logique. Il apercevra que le but réel de l’éducation intellectuelle est de faire que des dispositions naturelles deviennent des aptitudes exercées et éprouvées, capables de transformer la curiosité plus ou moins fortuite et la suggestion dispersée en attitudes qui disposent à la recherche active, prudente et poussée à fond. Il verra que le psychologique et le logique, loin d’être opposés (ou simplement indépendants l’un de l’autre) sont liés au même titre que le premier et le dernier terme d’un même processus continu d’évolution normale. » (Dewey).

Il y a, d’ailleurs, trois écueils que n’ont pas toujours su éviter les pédagogues artistes. D’abord ils ont risqué de tarir l’intérêt à sa source. Que l’enfant fasse ce qui lui plaît, ce qui l’intéresse, fort bien si son travail ne présente ni trop ni trop peu de difficultés, car un travail trop difficile décourage et un travail trop facile n’intéresse que dans une faible mesure. Ensuite, si l’on demande à l’enfant ses désirs et ses besoins, ils deviennent tyranniques, et si l’on fournit un aliment à tous les intérêts manifestés, on risque d’entretenir des intérêts qui ne présentent plus d’utilité pour l’individu qui évolue, au détriment du meilleur épanouissement de cet individu dont on retarde ainsi le développement. Enfin nous ne saurions admettre que l’on tienne si peu compte des pertes de temps qui résultent de l’emploi d’une telle méthode. L’humanité n’a progressé que parce que chaque génération s’est assimilée rapidement, en sa jeunesse, les connaissances acquises par les générations antérieures et a pu, ainsi, ajouter ensuite sa pierre au progrès.

Malgré les critiques, qu’ils s’adressent mutuellement, logiciens et pédagogues artistes reconnaissent que l’enfant doit, travailler, faire effort et s’intéresser à son travail. Les logiciens eux-mêmes, pour qui la progression prime l’intérêt, essaient d’obtenir cet intérêt au moyen de procédés : recherche de livres bien illustrés, de problèmes amusants, etc…

Mais logiciens et partisans de l’intérêt oublient que l’enfant est un être qui évolue ; les premiers confondent le but à atteindre et le chemin à parcourir ; les seconds oublient que les intérêts de l’enfant sont de valeur inégale, qu’il en est de périmés, au rôle fini, que d’autres sont en plein épanouissement ou même seulement naissants.

Les psycho-pédagogues expérimentaux, eux, ne cultivent pas tous les intérêts, mais une sélection d’intérêts utiles au développement de l’individu, ils veulent aider l’enfant à s’épanouir, à devenir lui-même mais non pas le maintenir dans un stade intérieur de son développement.

L’intérêt, pensent-ils, doit être entretenu par une progression des difficultés qui permette aux efforts de l’enfant d’être aussi productifs que possible. Cette progression doit être fixée expérimentalement et non logiquement avec le souci de former la logique de l’enfant et non avec celui de lui imposer la logique de

l’adulte. Cette logique d’adulte est une fin, non un moyen.

En résumé, les psycho-pédagogues expérimentaux, dans leur marche vers ce que nous pouvons appeler la méthode idéale d’enseignement et d’éducation, se préoccupent, en tenant compte des aptitudes, des intérêts et des besoins de l’enfant : 1° de fixer le but à atteindre ; 2° de rechercher le point de départ, c’est-à-dire la liaison entre le but à atteindre d’une part, les intérêts et les besoins de l’enfant de l’autre ; 3° cette recherche n’est possible que si le maître connaît bien la matière d’enseignement pour choisir la manière de l’aborder en tenant compte des intérêts de l’élève, de la technique spéciale à cette matière, d’une progression psychopédagogique qui tienne compte des difficultés réelles et de l’importance de chacune d’elles ; 4° des conditions de milieu et de tous les moyens qui peuvent agir dans un sens favorable au but poursuivi ; 5° d’apprécier les difficultés qui ne permettent pas d’atteindre l’idéal entrevu pour s’efforcer d’adapter cet idéal aux réalités en atteignant l’optima, c’est-à-dire le maximum du possible.

Pour être clair ce résumé doit être développé, nous le développerons donc en suivant un ordre logique, mais nous tenons à faire observer que cet ordre, qui nous est imposé par la nécessité d’être aussi clair que possible, n’est pas l’ordre chronologique. En réalité, le pédagogue, soucieux de marcher vers la méthode idéale, n’attend pas que l’un des cinq problèmes que nous avons posé soit solutionné pour s’occuper du suivant ; ces solutions sont provisoires, sujettes à révision et perfectionnées peu à peu ; il n’a pas à trouver cinq réponses isolées, indépendantes ; tout se tient et la fixation du but, pour n’en prendre qu’un exemple, ne peut être parfaite qu’après étude des autres problèmes et doit sans cesse subir des modifications puisqu’elle est établie en fonction d’un être qui évolue.

I. Recherche du but. — Cette question du but a été traitée longuement par nous au mot « Éducation » auquel nous renvoyons le lecteur. Peut-être nous y sommes-nous un peu trop préoccupés du futur ; il importe aussi de se préoccuper des besoins actuels de l’enfant qui grandit. Avant de songer à préparer à la vie, il faut penser à ce qui est vivifiant pour le présent.

Ce but général que nous avons indiqué nous impose des buts secondaires qu’il s’agit d’abord de déterminer. Certes les instituteurs publics ont des programmes officiels qui leur imposent certains de ces buts secondaires ; il ne leur en reste pas moins une certaine liberté de choix ; chaque maître a ses matières d’enseignement, ses sujets préférés ; malheureusement cette préférence résulte le plus souvent des goûts personnels. Il faudrait que pour chaque matière d’enseignement, chaque sujet d’études, le maître se demandât : « Quel sera actuellement l’effet de mon enseignement ? Quelle en sera la portée lointaine ? » et qu’à la suite de telles questions, il négligeât le moins utile au profit de l’essentiel.

Il est nécessaire aussi de préciser ces buts. Il pourra paraître suffisant à un père de famille de me dire : « Apprenez à lire à mon fils ? » mais cette réponse imprécise ne me satisfera pas.

Je réfléchirai après avoir observé la vie. Je constaterai que la lecture la plus usitée et la plus utile n’est pas la lecture à haute voix, courante et expressive, à laquelle on attache encore tant de prix dans nos écoles mais la lecture mentale silencieuse et compréhensive : qui a pour but de nous communiquer par la vue une pensée formulée par écrit. Je verrai que la classe capitaliste tire parti de cette connaissance pour empoisonner la pensée ouvrière avec sa presse bourreuse de crânes et je penserai que savoir lire peut être nuisible à qui manque d’esprit critique. De ces observations et