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d’autres encore, je tirerai des conclusions, et ces conclusions me permettront de préciser le but que je dois atteindre en lecture, m’indiqueront, en une certaine mesure, les moyens d’y parvenir qui seront pour moi de nouveaux buts secondaires.

Je réfléchirai encore après avoir étudié dans les livres de sociologie, de psychologie, de pédagogie, etc., et observé l’enfant. Ayant, par exemple, appris que l’adulte qui lit n’épelle pas, je me dirai que l’épellation n’est peut-être pas utile, ou tout au moins aussi utile qu’on le pense, pour l’apprentissage de la lecture et ceci m’engagera à entreprendre des recherches qui me permettront d’améliorer ou de changer ma méthode d’enseignement de la lecture.

II. Recherche du point de départ. — Le développement actuel de l’humanité, les connaissances acquises, sont tels qu’ils sont parce que les hommes, dans le passé et dans le présent, ont eu et ont des intérêts, des besoins et des aptitudes que nous retrouvons chez les enfants. Ces intérêts, ces besoins, ces aptitudes sont plus ou moins développés, n’existent parfois qu’en germe et à l’état latent chez les enfants ; il faut pourtant les découvrir, car ce sont eux les leviers du progrès, les points dont il nous faudra partir pour, par une récapitulation abrégée (voir Éducation) faire acquérir à l’enfant une partie des conquêtes de l’humanité. Il faut que l’éducateur connaisse, aussi complètement et d’une manière aussi souple que possible, les expériences que l’humanité a faites – le savoir qu’il peut faire acquérir à ses élèves n’en est qu’un résumé, – qu’il sache quels sont les intérêts, les besoins, les pouvoirs de l’enfant pour les mettre en œuvre, les exercer, les diriger vers les buts possibles qu’il se propose. « Chacun, dit Roszger, a en lui la place où le maître peut piocher de la façon la plus sûre. Alors il s’agit de mettre la main à cette place… d’obliger chacun… à économiser et à fortifier sa puissance particulière. Et la puissance particulière sera le point de départ d’où les autres territoires seront renforcés et fécondés… le descriptif fera un effort volontaire s’il doit expliquer sa description par le dessin. »

Ainsi le progrès enfantin ne sera pas obtenu malgré l’enfant et nous ne compterons pas non plus sur son bon plaisir ou sa fantaisie pour le diriger dans la voie du progrès ; ce que nous voulons ce n’est pas que l’enfant fasse tout ce que nous voulons ou tout ce qu’il veut mais qu’il veuille tout ce qu’il fait et ceci n’est possible que si, connaissant bien l’enfant, nous le plaçons dans des conditions telles que nous puissions agir envers lui de telle façon qu’il veuille ce qui est bon et utile à ses progrès.

III. Recherche de la progression. — Ayant déterminé le point de départ et le but, avons-nous besoin de prévoir l’ordre que nous suivrons pour aller de l’un à l’autre ? Une progression, un plan sont-ils utiles ? La question n’est pas superflue, les pédagogues artistes s’en rapportent à leur flair pédagogique ; leur amour de l’enfant leur permet de trouver intuitivement la route qu’il convient de suivre plus sûrement, pensent-ils, que des recherches méthodiques. Sans cesse on nous donne en exemple le sentiment maternel, la pédagogie maternelle faite d’amour et d’intuition. Certes, l’amour des enfants est une des conditions du succès en éducation et non la moins importante. Cependant, malgré leur intuition et leur amour, de nombreuses mamans pleurent des bébés qu’elles ont perdus parce qu’elles ne connaissaient pas, n’appliquaient pas des règles élémentaires de puériculture. Malgré leur intuition et leur amour, de nombreux parents donnent à leurs enfants une éducation mauvaise.

On a voulu ainsi apprendre des langues étrangères par des méthodes directes empiriques, sans se rendre

compte que l’âge des élèves permettait d’utiliser des moyens d’enseignement que l’on ne peut employer avec des tout petits. Il est résulté de cela des pertes de temps qu’il convient d’éviter.

Le progrès naturel nous offre d’ailleurs des exemples d’ordre, de gradation. Étudiant cet ordre dans l’acquisition d’une langue, Louis Marchand écrit : « Il y a un sens dans le développement du vocabulaire. Ce sens nous est indiqué à la fois par le coefficient d’usage des mots et leur degré d’élaboration ». Évidemment des mots comme aller, venir, la maison, le père sont plus employés que horizon, blême, badiner, spontané, etc. « De plus, dans tous les milieux linguistiques, les mots s’élaborent par le jeu des gradations suivantes (nous résumons) : « 1° Gradations de formes ou étymologiques. Ex. : Tous les Français apprennent pouvoir avant possible, impossible, possibilité, impossibilité, etc. 2° Gradations de sens. Ex. : Tous les Français apprennent rouler (quelque chose) avant rouler (quelqu’un, etc…).

« Il en est de même pour la grammaire. Nous y trouvons des gradations :

« a) Dans la construction de la phrase ;

« b) Dans la conjugaison des verbes ;

« c) Dans l’emploi des mots variables ;

« d) Dans l’emploi des mots invariables.

« Par exemple, tous les Français apprennent automatiquement :

« La proposition principale avant la subordonnée ;

« L’indicatif avant le subjonctif ;

« L’adjectif petit avant l’adverbe petitement ;

« Les prépositions pour, depuis avant les conjonctions pour que, depuis que, etc… »

Il est d’autres ordres encore dont le pédagogue doit tenir compte. S’il veut faire étudier les mathématiques à ses élèves, le professeur n’ira pas au gré de sa fantaisie, car les mathématiques sont une étude constructive, il faut savoir ce qui précède pour pouvoir comprendre ce qui suit et il faut, dans cette étude logique, suivre un ordre logique. Ainsi deux ordres : l’ordre de vie et l’ordre logique doivent d’abord préoccuper le pédagogue.

Le plus souvent il devra, chose difficile, s’efforcer d’adapter son enseignement à ses deux ordres. Prenons un exemple : dans le programme de sciences figure l’étude des phénomènes naturels : pluie, vent, neige, etc… Ces phénomènes il faudra les observer (ordre de vie), les expliquer (ordre logique). On pourra sans doute, alors, comme le propose Elslander, distinguer l’ordre éducatif qui suit la marche naturelle des découvertes de l’ordre scientifique qui a pour objet l’organisation des connaissances ; mais cette distinction est au moins aussi théorique que pratique, car on ne peut songer à faire tout redécouvrir à l’enfant (voir Éducation).

Ainsi la vie, celle de notre milieu, doit nous de guide dans l’ordre des études. Non pas en ce qui concerne l’observation – il est bien évident qu’on n’observera pas les fleurs, les fruits, la neige, etc…, n’importe où et n’importe quand – mais encore pour tous autres sujets d’étude ; en lecture par exemple, il importe de commencer par l’étude des mots plus familiers à l’enfant.

La logique des matières d’étude est notre second guide. Il est évident que le théorème C ne sera étudié qu’après les théorèmes A et B si la connaissance des théorèmes A et B est nécessaire à la démonstration du théorème C.

L’enfant constitue un troisième guide dont nous nous efforcerons d’alimenter les intérêts par l’observation de l’ordre de vie et d’autres moyens. Mais l’intérêt de