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tement harmonie avec l’état de la conscience dont la lucidité permet au sujet, à son grand désarroi, de se sentir en quelque sorte dédoublé. Il assiste impuissant à la répétition automatique de l’obsession (voir ce mot), qu’il ne saurait vaincre de par sa volonté libre et dont il est obligé, haletant, d’attendre l’épuisement.

Le nombre des servitudes que les névropathes se créent ainsi est fabuleux. L’obsession est un tic mental dont très peu de sujets sont affranchis. Ils résistent de façon variable : c’est entre tous les hommes la seule différence. En temps normal, l’obsédé ne fait que sourire de ce phénomène qui le possède quelques instants sans le faire souffrir ; mais, dès que le terrain émotif existe, la lutte devient fatale avec son corollaire, la souffrance physique et morale, et la blessure d’amour-propre née de la défaite.

Certains obsédés ont la vie littéralement hachée par des troubles de cet ordre, au point qu’ils n’ont plus de répit, hantent les consultations des charlatans, car les émotifs sont, par surcroît, des superstitieux. Leurs pratiques ne font, en général, qu’aggraver leur cas et la névropathie sous toutes ses formes est une vraie infirmité.

L’émotivité minimum se traduit par la disposition qu’offrent les sujets à sentir violemment et à être profondément affectés par des conjonctures d’importance minuscule. Les impressions sont de longue durée ; joies ou peines prennent des proportions exagérées et les sujets ne sont préoccupés que de se tenir en garde contre eux-mêmes.

L’émotion morbide a des signes physiques qui accusent nettement la participation du sympathique. Ces signes sont l’exagération des signes normaux de l’émotion ; pâleur, rougeur de la face, tachycardie, sentiment d’oppression, sentiment d’inquiétude, affolement, rires et pleurs faciles, etc…

L’exagération peut aller jusqu’à produire l’angoisse. Les anxieux sont des sur-émotifs. Il suffit d’avoir, dans une circonstance dramatique quelconque, éprouvé la sensation de l’angoisse pour imaginer les souffrances du névropathe émotif, voué par nature à l’anxiété.

Les terreurs morbides, le trac des artistes et des orateurs, troubles émotionnels parfois insurmontables, brisent certaines carrières.



Les mélancholiques et hypocondriaques forment une autre catégorie de névropathes qui, unis aux précédents, constituent le grand groupe de ce que le vulgaire englobe sous la rubrique de neurasthénie ou de psychasthénie.

La surémotivité, le déséquilibre émotionnel, si coquettement porté par une rare collection de nerveux, dissimulant sous le terme avoué de neurasthénie de véritables psychoses, peuvent aller jusqu’à produire un état, habituel ou périodique, de tristesse invincible. Il est même admis aujourd’hui que cette dépression morale, expression d’une fonction sympathique déviée, préexiste à la mélancolie. Cette psychonévrose ne serait point primitive, mais secondaire. On ne pleure pas parce qu’on voit les choses en noir ; on pleure d’abord et c’est parce qu’on pleure qu’on voit les choses en noir. Ainsi en va-t-il de l’émotion contraire, celle de la joie : on rit d’abord, on est joyeux ensuite.

La mélancolie est un état objectivement psychique, mais subjectivement sensitif. Le triste échafaude tout un délire de misère physique et morale sur un fond d’émotivité et sur des troubles de l’innervation sympathique. La mélancolie est volontiers périodique, alternant même avec des états d’expansion euphorique. Cela constitue la folie à double forme et la folie circulaire.

Mais une mention toute spéciale doit être accordée à la mélancolie affectant la forme de l’hypocondrie. Cette forme de l’émotivité basée sur des états morbides imaginaires des différentes parties du corps nous fournit le tableau bien connu du malade imaginaire. On le rencontre à tous les coins de rue, chez tous ces malades de salon qui, n’ayant rien à faire, tournent sans cesse leur attention du côté de leur organisation physique, pensent y découvrir maintes irrégularités à la moindre sensation qui leur paraîtra anormale et, désormais, deviennent les esclaves du moindre bobo, dont la manie encourage les réclames pharmaceutiques, peuple les officines de tous les diseurs de bonne aventure et de tous les rebouteurs.



La grande hystérie. — C’est le triomphe de la névropathie. Elle a occupé dans l’histoire une place phénoménale par son immixtion dans la vie politique ou religieuse. Elle a été la psychonévrose des grands drames du Moyen âge, Elle a valu le supplice et la mort à une foule de malheureux surcroyants, mystiques dans le sens précaire du mot (voir Mysticisme).

L’hystérie est, en fait, une maladie mentale à manifestations extérieures protéiformes, relevant toutes de la suggestion, de l’auto-suggestion et de l’imitation ; Elle suppose, par conséquent, une sensibilité physique tout à fait anormale et une imagination désordonnée, disons même délirante. La mythomanie résume toute l’histoire clinique de l’hystérie, ainsi que le besoin de mentir, de tromper et de se tromper soi-même, avec croyance folle à ce que l’on dit et fait.

L’hystérie s’exprime par des crises convulsives à grand spectacle, excentricités en grande partie combinées pour intéresser la galerie. Elles cessent quand la galerie disparaît. On éduque un hystérique à volonté et tout hystérique est prêt à la représentation théâtrale. C’est une maladie suggérée qui suppose une suggestivité anormale et une passivité démesurée. La Salpétrière ressuscita, pendant le règne de Charcot, les grands drames du Moyen âge. Quand cette école d’entraînement ferma ses portes, la grande hystérie disparut comme par enchantement.

Convulsions, somnambulisme, attitudes passionnelles, léthargie, catalepsie, dédoublement de la personnalité, délire hallucinatoire, voilà pour le mental ; paralysies diverses, sensorielles ou autres, contractures, hyperesthésies, voilà pour le côté physique. Le programme est vaste et l’on pourrait dire an gré de l’opérateur.

Greffons sur ce paragraphe de l’hystérie tout ce qui ressortit à l’hypnotisme, au magnétisme, à la suggestion physiologique ou morbide, et nous aurons facilement grossi le bagage de la névropathie, car tous ces phénomènes sont amplement favorisés par le terrain foncier décrit plus haut.



Hystéro-traumatisme, sinistrose. — Sans prétendre être complet, il faut toutefois greffer sur cette description une des manifestations les plus modernes de la névropathie, qui donne bien la preuve que cette maladie gît tout entière dans un terrain spécial d’où l’on voit sortir des végétations multiples, richement variées. Elles n’existeraient pas sans ce terrain.

Je vise ici maints incidents morbides nés du machinisme moderne, maints accidents professionnels et plus spécialement les traumatismes issus de là grande guerre.

Qui dit machinisme dit multiplication de circonstances où se rencontrent fortuitement une possibilité de traumatismes et un sujet traumatisable, qui sera, dans l’espèce, le travailleur. Cette rencontre sera l’accident,