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avec ses suites ordinaires, mais aussi avec ses suites extraordinaires, s’il advient que l’accident affecte un sujet prédisposé, un nerveux, un névropathe.

Tout accident produit un choc matériel, mais aussi un choc moral, une émotion-choc. D’importance négligeable chez un sujet bien équilibré et quasi normal, cette émotion produit des désordres inattendus chez le prédisposé, désordres qui entraînent chaque jour des conflits entre blessés, assureurs, médecins, magistrats et qu’on a dénommés hyétro-traumatisme ou sinistrose.

A l’occasion d’une blessure, voici un malade nerveux, réagissant par des symptômes qui n’ont aucun rapport direct avec la blessure, mais qui sont l’œuvre d’un psychisme malade. traumatisé lui-même. puisque l’émotion est un choc. Ces séquelles, complications inusitées du traumatisme sont toutes à porter au compte de la névropathie. Elles sont du domaine exclusif de l’auto-suggestion et des maladies imaginaires, Méconnues comme telles, elles entraînent des conséquences déplorables et coûteuses tant pour le blessé que pour son assurance. Démasquées, au contraire, elles guérissent comme au souffle du vent, au grand ébahissement de la foule, aussi naïve ici qu’elle l’est à Lourdes.

J’en dirai autant des séquelles imaginaires. des traumatismes de guerre qui, par milliers, sont, venus encombrer la clinique nerveuse et chirurgicale. Souvent prises pour des faits de simulation intentionnelle pour échapper aux affres du front. elles furent le plus souvent sincères et filles de terribles circonstances qui exaltèrent bien naturellement une grande émotivité congénitale que les blessés eux-mêmes ignoraient de bonne foi.



Conclusion. — On le voit : la névropathie est un vaste domaine. On peut dire que, en général, quand elle est bien diagnostiquée, elle n’est grave que par ses manifestations toujours récidivantes et par sa signification dégénérative.

On pourrait compliquer ce chapitre en mentionnant bien d’autres syndromes nettement étiquetés déjà, comme l’épilepsie, la chorée, où fourmillent les névropathes, mais il est mieux de renvoyer le lecteur aux articles de cette Encyclopédie, où ces sujets sont traités.

Je ne puis clore cette monographie sans signaler les rapports, tout récemment découverts entre la névropathie et l’endocrinologie. La surémotivité, l’anxiété, les obsessions, etc…, en fonction des troubles des glandes à sécrétions internes, telles que les glandes génitales, la surrénale, la thyroïde. la pituitaire. etc…, ont ouvert un vaste champ à la thérapeutique et il est certain que beaucoup d’états névropathiques cèdent en tout ou partie à une opothérapie bien dirigée.

Mais n’oublions pas que le vrai moyen de guérir les infirmités de cet ordre est encore de les prévenir et de suivre, à cet effet, les prescriptions rigoureuses de l’hygiène nerveuse et mentale que la science tout à fait moderne a tracées (naturisme, élimination de tous les poisons du système nerveux, hydro et héliothérapie, etc…). Prévenir, c’est ici guérir. — Dr Legrain.


NIHILISME n. m. (du latin nihil, rien). Un malentendu profondément enraciné et fort répandu est étroitement lié à ce mot né, il y a 75 ans, dans la littérature russe et passé sans être traduit (grâce à son origine latine), dans d’autres langues.

En France, en Allemagne, en Angleterre et ailleurs, on comprend généralement par nihilisme un courant d’idées — ou même un système — révolutionnaire politique et social, inventé en Russie, y ayant (ou y ayant eu) de nombreux partisans organisés. On parle couramment d’un « parti nihiliste » et des « nihilistes »,

ses membres. Tout cela est faux. Il est temps de corriger cette erreur, au moins pour les lecteurs de l’Encyclopédie Anarchiste.

Le terme nihilisme a été introduit dans la littérature — et ensuite dans la langue — russe par le célèbre romancier Ivan Tourguénev (1818-1883), vers le milieu du siècle passé. Dans l’un de ses romans, notamment, Tourguénev qualifia de cette façon un courant d’idées qui s’était manifesté parmi les intellectuels russes à la fin des années 1850. Le mot eut un succès et entra vite en circulation.

Ce courant d’idées avait surtout un caractère philosophique et moral. Son champ d’influence resta toujours très restreint, ne s’étant jamais étendu au-delà de la couche intellectuelle. Son allure fut toujours personnelle et pacifique, ce qui ne l’empêcha pas, cependant, d’être très animé, imbu d’un grand souffle de révolte individuelle et guidé par un rêve de bonheur de l’humanité entière. Le mouvement qu’il avait provoqué, se contenta du domaine littéraire et surtout de celui des mœurs. Mais dans ces deux domaines, le mouvement ne recula pas devant les dernières conclusions logiques, que non seulement il formula, mais qu’il chercha à appliquer, individuellement, comme règle de conduite.

Dans ces limites, le mouvement ouvrit le chemin à une évolution intellectuelle et morale très progressive et indépendante : évolution qui, par exemple, amena la jeunesse intellectuelle russe tout entière à des conceptions générales extrêmement avancées et aboutit, entre autres, à cette émancipation de la femme cultivée, dont la Russie de la fin du xixe siècle pouvait, à juste raison, être fière. Il faut y ajouter que ce courant d’idées, tout en étant strictement moral et personnel, portait, néanmoins en lui-même, grâce à son esprit largement humain et émancipateur, les germes des conceptions sociales futures : conceptions qui lui succédèrent plus tard et aboutirent à une vaste action politique et sociale, avec laquelle, justement, ce courant d’idées est confondu aujourd’hui en dehors de la Russie. Indirectement, le « nihilisme » prépara le terrain aux mouvements et aux organisations politiques d’une allure nettement sociale et révolutionnaire, apparus plus tard, sous l’influence des idées répandues en Europe et des événements extérieurs et intérieurs. Le malentendu consiste, précisément, en ce qu’on confond, sous le nom de « nihilisme »  », ce mouvement révolutionnaire postérieur, mené et représenté par des partis ou groupements organisés, ayant un programme d’action et un but précis, avec un simple courant d’idées qui le précéda et auquel seul le qualificatif « nihilisme » doit être attribué.



En tant que conception philosophique et morale, le nihilisme avait pour bases : d’une part, le matérialisme et, d’autre part, l’individualisme, poussés tous les deux à l’extrême.

Force et Matière, le fameux ouvrage de Büchner (philosophe matérialiste allemand, 1824-1899) paru à cette époque, fut traduit en russe, lithographié clandestinement et répandu, malgré les risques, avec un très grand succès, en milliers d’exemplaires. Ce livre devint le véritable évangile de la jeunesse intellectuelle russe d’alors. Les œuvres de Moleschott, de Ch. Darwin et de plusieurs autres naturalistes et matérialistes étrangers, exercèrent également une très grande influence. Le matérialisme fut accepté comme une vérité incontestable, absolue.

En tant que matérialistes, les « nihilistes » menèrent une guerre acharnée contre la religion et aussi contre tout ce qui échappait à la raison pure, positive ; contre tout ce qui se trouvait en dehors des réalités matérielles et immédiatement utiles ; contre tout ce qui