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pas de fâcheuses conséquences. Je suis d’avis qu’il ne faut pas de loi en cette matière. Et cela pour deux raisons. En premier lieu, il n’y a pas de loi capable d’empêcher le mal dans ce domaine sans gêner aussi le bien et, en second lieu, les publications incontestablement pornographiques feraient bien peu de mal si l’éducation sexuelle était plus rationnelle. Il y a encore une autre raison de combattre la censure : la pornographie elle-même, publiquement proclamée et chantée, eût fait moins de mal qu’avec cet attrait du mystère qu’on lui prête. Malgré la loi, presque tous les hommes d’un certain rang social ont vu dans leur adolescence des photographies obscènes et ont été fiers de les posséder parce qu’elles étaient rares. Les gens aux opinions toutes faites vous disent que ces images font un tort considérable à autrui, quoique pas un seul parmi eux ne veuille reconnaître qu’elles lui aient fait du tort à lui-même. Sans doute, ces photographies provoquent une excitation lubrique, mais ces émotions naissent d’une façon ou de l’autre chez tout mâle robuste ou viril. La fréquence des désirs dépend de la condition physique de l’individu, tandis que les occasions de ces désirs dépendent des conventions sociales auxquelles il est habitué. A un Anglais des premières années victoriennes, la cheville d’une femme suffisait, tandis que nos contemporains restent impassibles a tout ce qu’elle ne montre pas plus haut que la cuisse. C’est pure question de mode. Si le nu était à la mode, il cesserait bien vite de nous exciter, et les femmes se verraient obligées, comme dans certaines tribus sauvages, de mettre des vêtements pour augmenter leur attrait sexuel. Des considérations identiques s’appliquent à la littérature et aux images : ce qui était un excitant pour le contemporain de la reine Victoria laisse tout à fait froid l’homme d’une époque plus affranchie. Plus la pruderie réduit le degré autorisé d’appel sexuel, moins cet appel a besoin de conditions pour être efficace. Les neuf-dixièmes des séductions de la pornographie viennent du sentiment d’inconvenance que les moralistes inculquent aux jeunes. L’autre dixième est physiologique et se reproduit de toute manière, quelle que soit la législation du moment. C’est pourquoi je suis fermement convaincu qu’il ne faut pas de loi sur les publications obscènes. » Je partage entièrement cette opinion. — E. Armand.


OBSCURANTISME n. m. L’Obscurantisme est le meilleur moyen de gouvernement qui ait jamais été imaginé. Il consiste à plonger le cerveau humain dans un état spécial, dans une sorte de stupeur ou d’atrophie.

L’Obscurantisme est plus néfaste encore que l’Ignorance. L’ignorant est un homme qui ne sait pas, qui manque de connaissances. L’obscurantisme ne se borne pas à laisser en friche l’intelligence humaine, il cherche à l’asservir et à l’émasculer. L’Obscurantisme est la doctrine qui prétend que le peuple n’a pas besoin d’éducation et qu’il n’est pas nécessaire de s’instruire pour faire son salut.

Lorsque Joseph de Maistre lançait sa fameuse boutade : « L’ignorance est supérieure à la science, parce que la science vient des hommes, tandis que l’ignorance vient de Dieu », il parlait en obscurantiste. Cette manière de voir fut longtemps dominante dans l’Église et dans la société. Les premiers Pères de l’Église l’avaient adoptée avec enthousiasme, à l’instar de Tertullien, lorsqu’il écrivait : « Nous n’avons besoin d’aucune science après ce Christ, ni d’aucune preuve après l’Évangile ; celui qui croît ne désire rien de plus ; l’ignorance est bonne, en général, afin que l’on n’apprenne pas à connaître ce qui est inconvenant. » Ce qui est « inconvenant » c’est, évidemment, tout ce

qui est susceptible d’ouvrir les yeux à l’individu, tout ce qui lui permettrait de revendiquer son droit à l’existence. L’obscurantisme est la base même et le fondement de la résignation.

La raison est la grande libératrice.

Les prêtres, les rois, les riches, en abêtissant les peuples, cherchent, avant tout, à consolider leurs privilèges. L’esclave qui croit à la nécessité et à la bienfaisance de l’esclavage ne songera certainement pas à briser ses chaînes et sera plus facile à gouverner que l’asservi qui ronge impatiemment son frein, qui hait l’iniquité et la tyrannie et qui est prêt à se révolter dans toutes les occasions favorables.

A quoi bon s’instruire ? La science ne sert à rien (l’excellent Jean Jacques lui-même n’a-t-il pas adopté ces sophismes, dans son discours sur le rôle des sciences et des arts dans le progrès de l’humanité ?) On peut être un parfait cultivateur sans connaître un mot d’histoire ou de géographie. Pour être tapissier, métallurgiste ou maçon, l’étude de la littérature et des sciences naturelles est loin d’être indispensable, etc., etc. C’est avec de tels arguments que, pendant des siècles, les hommes étaient parqués dans leur médiocrité, sans pouvoir s’éclairer ni s’affranchir. Qui pourrait dire l’étendue de ce gaspillage de forces intellectuelles, sacrifiées férocement, à l’intérêt mal compris de quelques parasites ? Si la science avait été favorisée et largement répandue dans les classes inférieures de la société, nous serions en avance de plusieurs siècles sur la situation présente et sans doute libérés depuis longtemps de l’affreuse barbarie qui déshonore encore l’humanité d’aujourd’hui.

Que la science soit parfois néfaste, lorsqu’on l’utilise aux œuvres de mort et d’extermination, nul ne le conteste. Mais chacun sait que la science n’est pas responsable du mauvais usage qu’on en peut faire. Il suffit que les hommes deviennent assez sages pour tirer le meilleur parti des ressources, naturelles ou scientifiques, qu’ils possèdent.

Aussi longtemps que cela fut possible, l’Église a barré la route au progrès des idées. Elle assurait que le seul souci honorable pour les parents était de donner à leurs enfants une instruction religieuse. Le Ciel d’abord, la Terre ensuite. L’Éternité avant tout, car la vie terrestre était chose si éphémère ! Les intelligences étaient ainsi empoisonnées par des dogmes absurdes et fantaisistes. Aujourd’hui, il n’est plus possible de barrer la route au Progrès et l’Église a dû s’adapter au nouvel état de choses.

De même qu’après avoir condamné l’Imprimerie, elle sut l’accaparer au service de sa cause néfaste ; de même qu’après avoir grillé Jeanne d’Arc, elle en fait une « Sainte », aujourd’hui elle répudie l’obscurantisme et elle invoque constamment les noms des « grands savants catholiques », tels que Pasteur ou Branly. Ne pouvant fermer toutes les écoles, l’Église s’en empare, comme elle s’est emparée de la presse, du cinéma, de la T. S. F., etc. Par tous les moyens, elle s’attache à fausser les esprits, à répandre l’erreur. Elle prend l’enfant tout jeune, afin de lui infuser plus facilement le virus du mysticisme et de la superstition.

Le seul remède de l’obscurantisme religieux, c’est le Libre Examen. Les cléricaux le sentent si bien qu’ils refusent systématiquement de laisser toucher à leurs mythes et à leurs dogmes. « Les croyances doivent être respectées », répètent-ils à l’envi. Par conséquent pas de discussion, pas de recherche, pas de critique. Excellent moyen pour maintenir sous la tutelle de l’Église quantité de cerveaux paresseux et rebelles à l’effort, qui continuent de croire et de pratiquer par habitude, par tradition (et souvent aussi par calcul ou par hypocrisie). Pour sortir de l’obscurantisme, il suffit d’avoir la volonté de voir clair et de s’émanciper. — André Lorulot.