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OBS
1821



OBSERVATION n. f. (du latin observatio). Avec raison, la science moderne proscrit tout ce qui est invérifiable expérimentalement. De prime abord, elle élimine les vaines suppositions religieuses ou métaphysiques, qui font appel à d’insaisissables entités pour expliquer le monde observable et tangible. Elle n’accorde qu’un droit de cité provisoire aux hypothèses, même positives ; et le savant digne de ce nom rejette toute théorie que contredisent les faits expérimentaux. Fruit d’un travail collectif, auquel peuvent collaborer les chercheurs les plus humbles, notre science a cessé d’être le champ clos qu’elle fut longtemps, où luttaient des hypothèses imaginaires, d’ingénieux systèmes fabriqués de toutes pièces et sans autre garantie de vérité que le génie de leurs créateurs. Aussi est-elle devenue objective : ses conclusions s’imposent à tous parce qu’elles sont vérifiables par quiconque s’astreint à les étudier. L’expérience s’avère le suprême critérium qui permet de distinguer, de façon certaine, les explications vraies des suppositions mal fondées. Mais l’expérience chère à la science actuelle n’a qu’une lointaine parenté avec celle qu’admettaient les anciens. Vague, dépourvue de contrôle et de précaution, cette dernière aboutissait à des résultats d’une fantaisie incroyable. Les modernes exigent, au contraire, que des mesures précises interviennent ; ils veulent des instruments qui enregistrent impartialement les résultats, un contrôle qui ne néglige aucun détail.

Si l’observation apparaît d’une importance capitale, c’est justement parce que nos sciences positives ont pour point de départ des faits réels, non des abstractions. De l’observation il convient de rapprocher l’expérimentation qui consiste, moins à provoquer artificiellement des faits nouveaux, comme on le dit parfois, qu’à susciter des observations nouvelles dans le but de vérifier une conception de l’esprit, une hypothèse. N’étant qu’une « observation provoquée », selon le mot de Claude Bernard, l’expérimentation devra présenter, comme elle, des qualités d’objectivité, de rigueur, de précision. Or c’est chose malaisée souvent d’observer les phénomènes qui méritent de retenir l’attention : « Les faits de la nature ont mille tenants et mille aboutissants, mille rapports accidentels d’où il importe de les dégager pour que la récherche de leurs déterminants ne s’égare pas et que l’explication ne porte pas à faux. Le plus souvent, la nature offre d’elle-même à l’observation les phénomènes à expliquer ; l’attention suffit alors à les bien discerner d’avec d’autres. Mais, parfois, nous n’en avons qu’une vue incomplète et trop rapide. Sans parler de ces phénomènes qu’une petitesse excessive ou un extrême éloignement auraient toujours dérobés à nos sens, sans le secours d’instruments tels que la loupe, le microscope, le télescope, il en est qui, bien que visibles, ne se laissent pas facilement observer et déterminer. Tels sont les phénomènes électriques : on ne peut fixer l’éclair qui jaillit de la nue. Aussi, avant de songer à expliquer les phénomènes électriques, a-t-il fallu les produire artificiellement dans des conditions où ils fussent observables. » Ajoutons que des erreurs, parfois inévitables, proviennent de l’observateur. Vitesse de l’infiux nerveux, durée de l’impression sensible varient selon les individus, lors même que l’excitant extérieur serait absolument identique. Parmi ceux qui firent des expériences sur la vitesse du son en 1822, quelques-uns trouvèrent qu’il mettait 54 secondes 6, d’autres 54 secondes 4 seulement pour franchir les 18.613 mètres qui séparaient Montlhéry de Villejuif. La différence, 2/10 de seconde, résultait de conditions organiques qui dépendent de l’appareil humain. Cette erreur individuelle, que l’on dénomme équation personnelle, et qui reste toujours la même pour un sujet donné, était déjà connue des astronomes. Observée par Maskelyne, de Greenwich, en 1795, elle fit l’objet de recherches spécia-

les de la part de Bessel en 1820 ; depuis 1898 surtout, elle a été soigneusement étudiée dans les principaux observatoires. Pour noter le passage d’une étoile au méridien, représenté par un fil très ténu dans la lunette du télescope, les astronomes comptaient les battements d’un pendule qui donnait les secondes. Ils remarquèrent combien il était difficile de faire coïncider les positions apparentes de l’étoile et les battements entendus. Outre l’erreur d’appréciation qu’engendre la simultanéité de deux impressions hétérogènes, une autre erreur, c’est l’équation décimale, provient des préférences individuelles pour certains chiffres. Des dispositifs nouveaux permirent de diminuer l’importance de l’équation personnelle ; mais une erreur subsistait qui correspondait au temps de réaction et impliquait d’ordinaire un retard d’un cinquième de seconde environ. On l’élimine aujourd’hui grâce à des enregistrements automatiques. Plus importants encore et plus nombreux sont les éléments psychologiques qui vicient nos observations. Il est très rare que plusieurs personnes racontent un fait de la même façon. « Tel, par inattention, écrit Stuart Mill, laisse passer la moitié de ce qu’il voit ; tel autre distingue plus de chose qu’il n’en voit en réalité, confondant ce qu’il aperçoit avec ce qu’il imagine ou ce qu’il infère. Un autre encore prend note du genre de toutes les circonstances, mais ne sachant pas évaluer leurs degrés, il laisse dans le vague leurs qualités. Un quatrième voit bien le tout, mais il en fait une mauvaise division, rassemblant les choses qui doivent être séparées, et en séparant d’autres dont il aurait été plus à propos de faire un tout, de sorte que le résultat de son opération est ce qu’il aurait été, ou même pire, s’il n’avait pas fait d’analyse. » Dans les dépositions judiciaires, il est très rare que deux témoins, même de bonne foi, concordent sur l’ensemble des détails que leur récit contient. Et c’est bien autre chose lorsqu’interviennent les passions politiques ou religieuses ; les déformations, devenues systématiques, prennent alors des proportions extraordinaires. Lisez, dans des journaux d’opinions opposées, le compte rendu d’une séance parlementaire, l’histoire d’une crise ministérielle ; non seulement les faits sont arrangés à une sauce différente, bleue, blanche ou rouge, mais on les dénature, on les tronque, on les amplifie, de façon conforme aux goûts de la clientèle. Combien d’observations biologiques furent viciées par la croyance en l’âme ou en un dieu créateur. Astronomie, paléontologie ne purent faire de progrès sérieux tant que la cosmogonie biblique s’imposa aux esprits avec une autorité souveraine. L’impartialité, voilà la qualité la plus essentielle pour l’observateur ; lorsqu’il pénètre dans son laboratoire, le savant doit laisser à la porte ses idées métaphysiques, religieuses, scientifiques même, selon la juste remarque de Claude Bernard. « La seule chose dont nous soyons certains, c’est que toutes nos théories ne sont que partielles et provisoires » ; le bon investigateur est « toujours prêt à les abandonner, à les modifier ou à les changer dès qu’elles ne représentent plus la réalité ». D’autres qualités, la curiosité, la patience, une certaine pénétration d’esprit, le courage quelquefois, sont encore requis pour aboutir à de bons résultats. Ajoutons que nos meilleures observations resteraient fort imparfaites, sans le secours d’instruments qui augmentent la portée de nos sens ou précisent leurs données. Le télescope nous permet d’étudier des corps placés à d’énormes distances ; avec le microscope, nous pénétrons dans le monde des infiniment petits. Thermomètre, balance, photomètre, etc., fournissent des renseignements fixes et impersonnels, dans des domaines où la diversité des impressions individuelles s’avère particulièrement considérable. A quelles erreurs ne s’exposerait-on pas si l’on appréciait la température d’un liquide avec le toucher seulement, le poids d’un corps en le soupesant avec la main, la différence de