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ARMÉE (Le rôle véritable de l’). Le régime social présent repose sur le Vol, l’Imposture et la Violence.

Toutes les institutions fonctionnent au profit de ces trois malfaiteurs-types (chacun d’eux représentant une espèce plus ou moins nombreuse, mais également redoutable et malfaisante) : le voleur, l’imposteur, l’assassin.

Celui qui vole incarne la Propriété.

Celui qui ment incarne l’Autorité.

Celui qui tue incarne la Force.

Ces trois bandits s’entendent merveilleusement pour dépouiller et asservir les travailleurs, et pour les massacrer s’ils tentent de mettre fin à la spoliation et à l’esclavage qui les accablent.

Proudhon qui, comme tous les précurseurs, fut un des hommes les plus incompris et les plus vilipendés de son temps, a résumé ses études sur la Propriété en cette formule lapidaire devenue classique : la propriété, c’est le vol !

Il a établi la preuve de cette affirmation avec une telle vigueur de démonstration et un tel luxe de détails que cette partie de son œuvre considérable reste comme un monument impérissable à l’épreuve de toutes les attaques.

Que le Capitaliste — le Capitalisme est la forme actuelle de la Propriété — soit un détrousseur de l’Épargne publique et un spoliateur du Travail — par conséquent : un voleur — c’est une vérité qui ne fait doute pour aucun de ceux qui, socialistes, syndicalistes, communistes ou libertaires, travaillent inlassablement à la transformation sociale, large, profonde, définitive, d’où sortira le salut de l’Humanité.

Il serait superflu d’insister.

Celui qui ment incarne l’Autorité. Quand il personnifie l’Autorité morale, c’est l’imposteur des religions ; quand il personnifie l’Autorité sociale, c’est le flagorneur de la politique.

Pendant que le détrousseur (le premier des malfaiteurs-types) fouille dans nos poches, le prêtre, le pasteur, le rabbin nous exhortent à lever les yeux au ciel — ce qui facilite singulièrement l’indélicate besogne du voleur son compère — et nous invitent à chercher dans la foi la résignation et l’espérance.

« Bienheureux, disent ces bons apôtres, ceux qui, sur terre, ne possèdent rien ! Ils jouiront, plus tard, des biens éternels. Bienheureux, ceux qui souffrent ici-bas, ceux qui pleurent, qui ont faim, qui ont froid ! Plus ils souffriront dans ce monde, plus magnifique sera leur récompense dans l’autre. »

Le flagorneur de la politique tient un autre langage, mais en vue du même résultat :

« Confiez-moi, propose-t-il, le soin de faire votre bonheur. Vous vous plaignez et vous avez raison ; vos droits sont méconnus, vos libertés violées, vos charges écrasantes. Vous voulez améliorer, réformer, transformer l’état des choses ? C’est parfait. Je le veux avec vous, autant que vous, plus que vous. Donnez-moi le mandat de penser, de vouloir, de parler, d’agir en votre nom et vous verrez avec quelle abnégation je me consacrerai au triomphe de vos légitimes revendications ! »

Le croyant escompte la possession des béatitudes célestes ; le citoyen, l’électeur, attend avec résignation la réalisation des réformes toujours promises, jamais accomplies. Les lustres s’écoulent, les législatures se succèdent et, tandis que les imposteurs de la Religion et de l’État ne se privent de rien et vivent leur Paradis, les pauvres diables continuent à se priver de tout et à subir leur Enfer.

Toutefois, il est de ces infortunés qui, las d’attendre, exaspérés par le besoin, se révoltent.

Ici intervient le troisième bandit : l’homme de violence et de brutalité qui incarne l’ensemble des institutions groupées sous le nom de « Force publique ».

Quand la révolte est individuelle, police et gendarmerie suffisent à la répression. Mais il advient, de temps à autre, que la misère et l’oppression, la souffrance et l’injustice suscitent la révolte collective et la jettent, en multitude menaçante, sur les routes de la campagne et le pavé des grandes villes : c’est la grève, l’émeute, l’insurrection, la révolution.

Alors, les forces de police et de gendarmerie apparaissent insuffisantes. Riches et Maîtres tremblent pour leurs biens et leurs personnes ; d’instinct, ils sentent la menace des haines que leurs rapines et leur tyrannie ont accumulées dans le cœur des déshérités. Ils ont peur que ne soit trop faible le rempart derrière lequel ils ont coutume d’abriter leur pouvoir et leurs richesses.

Aussitôt, capitalistes et gouvernants font appel à l’Armée pour rétablir l’Ordre, c’est-à-dire défendre leurs coffres-forts et leur domination.

Sur l’ordre des chefs militaires, complices et serviteurs du Capital, de la Religion et de l’État, les casernes vomissent les bataillons de paysans et d’ouvriers, momentanément transformés en soldats, qui opposeront au flot impétueux la digue conservatrice.

Le rôle véritable de l’Armée, le voilà.

Les manuels officiels de l’Enseignement, la presse domestiquée et la tourbe des hypocrites qui, par les mille moyens dont les uns et les autres disposent, façonnent l’Opinion publique, se gardent bien de laisser entendre que le soldat n’est, en fait, que le chien de garde de la Propriété des Riches et de l’Autorité des Maîtres.

Ceux qui ont la naïveté d’ajouter foi aux dires de ces fourbes, aux assertions des journaux et au dogmatisme scolaire croient que l’Armée a pour mission d’assurer la sécurité des frontières, l’indépendance de la nation et le rayonnement du pays à travers le monde.

Eh ! sans doute, il faut bien un organisme de force qui appuie le brigandage colonial et, à l’occasion, impose ou défende les combinaisons financières des brasseurs d’affaires de chaque pays.

De ce point de vue comme du précédent, il est manifeste que le rôle de l’Armée est de défendre, dans chaque nation, les coquins qui vivent du Capital et de l’État contre les entreprises de l’ennemi extérieur et intérieur.

La Guerre maudite qui, durant près de cinq années, a couvert le globe de cadavres et de ruines devait être la dernière des guerres ; elle devait tuer le Militarisme et mettre fin, par le désarmement, au régime honteux des Armées permanentes et au système épuisant de la Paix armée.

C’est à la réalisation de ce rêve, aussi irréalisable que prestigieux — on ne tue pas le militarisme et la guerre par le militarisme et la guerre — que les mutilés ont sacrifié leurs membres, les réformés leur santé, les veuves leurs maris et les orphelins leurs pères.

La Guerre n’a pas tenu ses promesses ; elle ne pouvait pas les tenir. Toute guerre aboutit à des vainqueurs et à des vaincus : ceux-ci ayant au cœur la volonté de prendre leur revanche et ceux-là le désir d’exploiter leur victoire ; les uns et les autres se préparant à de nouveaux chocs ; ni les uns ni les autres ne consentant à désarmer.

Les Alliés vainqueurs n’ont pas voulu désarmer les Empires Centraux vaincus. Désarmer l’Allemagne, c’eut été, pour les pays de l’Entente, s’obliger à désarmer eux-mêmes.

Or, le voleur et l’imposteur ne peuvent pas se passer de l’assassin. Le vol et l’imposture ne peuvent asseoir leur domination que sur la violence et ils ont besoin de la Force pour sauvegarder leurs criminelles usurpations.