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rait par disparaître : c’est une boule de neige qui grandit à l’infini, en vertu de son propre mouvement. Nous, les « utopistes », sommes obligés d’apprendre cette vérité aux « réalistes » autoritaires !

Les anarchistes condamnent l’Autorité intégralement, sans aucune concession, car la moindre autorité, avide de s’affermir et de s’étendre, est aussi dangereuse que la plus développée ; car toute autorité acceptée comme un « mal inévitable » devient rapidement un mal inéluctable.

On dit, cependant, que les masses travailleuses ne sont pas encore aptes à se passer de l’Autorité, à organiser elles-mêmes la vie nouvelle.

Après ce qui précède, la réponse peut être brève : cette méfiance provient de l’incapacité de se représenter clairement, concrètement l’immense mouvement créateur, libre et vif, des masses humaines, dès qu’elles auront, enfin ! la possibilité de le réaliser, et qu’elles auront compris, enfin ! à force d’expériences historiques ratées, quelle est la véritable voie de leur action émancipatrice. La base de cette méfiance, c’est l’incapacité de « palper » à l’avance ce processus gigantesque, toute cette ambiance nouvelle, pleine de mouvement enthousiaste, d’énergie créatrice, d’activité fiévreuse, vive, indépendante des millions d’êtres humains en action. Personnellement, j’ai eu le bonheur unique, inoubliable, de voir, lors de la révolution russe, bien que pendant une courte période et en miniature, un mouvement de ce genre (en Ukraine, en 1919). Ce que j’ai vu et vécu alors, a confirmé expérimentalement et à jamais mes convictions là-dessus.

Combien de parents ou de mauvais éducateurs se trouvent surpris des exploits de leurs enfants, tenus pour incapables de les accomplir, dès que ces enfants obtiennent la possibilité entière, la joie et la fierté d’agir en liberté !

On dit encore que, sans Autorité, les masses seraient incapables de défendre avec succès la révolution.

La réplique sera ici la même que celle qui vient d’être faite. Il faut savoir se représenter l’action réellement libre, vivante, créatrice des masses travailleuses en révolution, pour comprendre que cette action, que toute cette ambiance permet au peuple d’organiser, de poursuivre la défense de son œuvre, la résistance à la contre-révolution, avec un succès beaucoup plus grand que celui d’une organisation et d’une action autoritaires. C’est cette action créatrice même qui s’en porte garante. Plusieurs événements de la révolution russe (en Ukraine, en Sibérie et ailleurs) en témoignent. Le fait historique, qui sera établi plus tard incontestablement, est que ce fut l’action libre des masses travailleuses, et non pas l’armée rouge, qui brisa la contre-révolution et sauva la cause révolutionnaire en Russie.

C’est donc cette action formidable, vive, libre et créatrice des masses laborieuses, qui devra être substituée à l’Autorité, brisée par les premiers coups de la Révolution, et qui ne doit être reconstituée sous aucun prétexte, sous aucune forme.

Il est absolument incompréhensible que tant de gens aient foi en l’Autorité sociale. Si encore cette Autorité avait pu compter des bienfaits, de beaux résultats à son actif historique ! Mais c’est juste le contraire que nous constatons, en étudiant l’histoire passée ou contemporaine. Incapacité, impuissance, violences, iniquité ; ruse, mensonge, guerres, misère, gâchis économique, dépression intellectuelle, décadence morale, tel est le bilan effrayant de l’Autorité au bout de milliers d’années d’existence. L’époque actuelle qui démontre clairement, et d’un seul trait, la faillite absolue de toutes les formes de l’Autorité (démocratie, dictature, fascisme, bolchevisme, etc., etc.), devrait enfin amener la condamnation définitive et entière du principe autoritaire lui-même.



On dit, pourtant que, même dans une société libre, on ne pourrait se passer d’une certaine Autorité ; qu’infailliblement, les hommes n’étant pas égaux de par leur nature, les plus forts, les mieux doués, les plus intelligents exerceront toujours une autorité, une influence décisive sur les faibles, les incapables, les peu intelligents et ainsi de suite.

Cette réflexion appartient au domaine de l’Autorité morale qu’il nous reste à étudier brièvement.

4o L’Autorité morale. — L’Autorité « morale » peut être individuelle ou celle de certains groupements, organisations, institutions, de telles ou telles autres collectivités humaines (comme, par exemple, celle de l’Église, étudiée plus haut). Ce n’est pas, cependant, cet élément purement formel qui nous intéresse ici. Ce qui nous importe, c’est le fond du problème.

L’Autorité dite « morale » peut s’exercer de trois façons très différentes : 1o elle peut, tout en étant d’ordre moral, s’appuyer sur une certaine contrainte ou sur une loi (ou coutume) stupide ; 2o elle peut avoir pour base l’ignorance, la faiblesse, la crédulité, la peur, des circonstances malheureuses, etc. ; 3o elle peut s’exercer librement, en pleine connaissance de cause, étant basée sur une véritable force et hauteur morale, étant acceptée de plein gré, produisant ainsi un effet positif, louable, heureux.

Il est de toute évidence que non seulement un anarchiste, mais aussi tout homme sain et raisonnable doit condamner et rejeter l’autorité morale des deux premiers genres. Il est tout aussi clair que tout homme, anarchiste ou non, peut accepter, peut admettre l’autorité du troisième genre. Cette dernière est la seule admise par les anarchistes. Il est à regretter que cette sorte d’influence soit exprimée par le même terme — « autorité » — que les phénomènes abjects dont nous venons de parler, et qui, au fond, n’ont rien de commun avec la véritable, la positive influence morale.

Prenons quelques exemples afin de préciser.

L’autorité du père ou, généralement, des parents (autorité dite « paternelle » ou « naturelle »), peut se baser sur la contrainte, sur la force physique, sur la peur. Une telle sorte d’autorité est une lourde faute. Elle est simplement écœurante. Elle ne donne pas de résultats véritables, durables. Elle n’agit que superficiellement, momentanément. Au fond, ce n’est pas une autorité morale, mais physique et amorale. Elle doit être sévèrement condamnée. Au contraire, une véritable autorité morale exercée par des parents intelligents, consciencieux et conscients de leur tâche éducative, est non seulement acceptable, mais indispensable.

La même chose peut être dite de l’autorité morale exercés sur les enfants, sur les élèves, par les éducateurs et les professeurs dans les écoles et ailleurs. En matière d’éducation, la seule autorité admise et même indispensable, est celle, purement et véritablement morale, d’un éducateur conscient de sa tâche délicate et sachant appliquer dûment l’arme de l’autorité. La libre influence, la persuasion, le bon exemple, le raisonnement sérieux, une réprimande raisonnable et affectueuse, tels sont les moyens acceptables de cette autorité.

L’autorité dite « maritale », est une loi (ou une coutume) stupide, d’après laquelle le « mari » est appelé à exercer une autorité (?) sur sa « femme ». Loi ou coutume vieillie, mais qui, hélas ! trouve encore pas mal d’adeptes dans la vie quotidienne. Un mari qui frappe sa femme en exerçant ainsi sur elle son autorité « morale », est loin d’être une rareté dans les pays les plus civilisés. C’est une honte qui doit être condamnée. La seule « autorité » qui puisse être admise entre homme et femme vivant ensemble, comme du reste entre tous