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AGR

d’expérimentation et de démonstration, des journaux et revues ont été créées sous la pression des besoins. Toutes proportions gardées, l’on trouverait autant, sinon plus, de techniciens qualifiés dans l’agriculture que dans les diverses industries. L’obscurantisme qui a longtemps régné sur les campagnes est en voie d’élimination lente. Certes, le curé est encore tout puissant dans beaucoup de nations. Mais, de moins en moins, l’homme des champs croit aux intercessions divines. Les processions et prières pour éloigner la grêle, la sécheresse, etc., sont des anachronismes devenus excessivement rares. Le cultivateur a appris à compter sur le travail et sur la science, et les connaissances ainsi acquises ont lancé l’agriculture et les populations agricoles dans la grande et rapide évolution de la civilisation. L’agriculture est, sinon la plus ancienne, tout au moins une des plus vieilles industries humaine. L’époque où les hommes se mirent à cultiver la terre se perd dans la nuit de la période préhistorique. On a des preuves d’un certain développement de la culture du blé, en Chine, 28 siècles avant l’ère chrétienne. L’Égypte, dans le temps de sa splendeur, avait reposé sa puissance sur une agriculture très perfectionnée, allant même à la culture intensive. Rome aussi s’intéressa à l’agriculture. On y cultivait les champs une année sur deux. Une des causes profondes de sa décadence est certainement l’abandon de l’agriculture par les Romains pour la guerre ; à tel point que le trésor public devait acheter des grains pour nourrir les Romains. L’insécurité des temps, puis ensuite l’obscurantisme religieux qui arrêta tout progrès technique pendant plus de dix siècles, ne permirent à l’agriculture que des progrès très lents. On en resta longtemps au travail purement musculaire avec un outillage rudimentaire. La traction des charrues par les animaux avait déjà été utilisée par les Grecs. De même la pratique de laisser le sol se reposer resta l’usage. L’utilisation des engrais naturels — que la Chine a tant perfectionnée — restait peu développée. On ignorait totalement l’irrigation que des peuples antiques — Égyptiens, Chaldéens, Chinois — pratiquaient assez systématiquement. La culture maraîchère, presque inconnue dans l’Europe chrétienne, était assez répandue chez certains peuples orientaux. Il a fallu les secousses révolutionnaires de la fin du XVIIe siècle, qui ont eu, entre autres résultats, celui de permettre au cultivateur une certaine garantie sur la propriété de ses produits et surtout le développement du machinisme au XIXe siècle, pour ébranler les vieilles pratiques et méthodes routinières de l’agriculture européenne et des colonies européennes en Amérique, Australie et divers autres pays. Ce fut d’abord l’introduction de la mécanique : charrues à vapeur et autres instruments qui permirent de développer la culture extensive, de conquérir de vastes régions, de défricher des domaines immenses. Et puis, la chimie est venue apporter sa quote-part de progrès à la technique agricole, surtout par l’emploi rationnel des engrais entretenant la fertilité du sol, le nourrissant, ce qui a permis d’abandonner peu à peu la vieille pratique de l’assolement par le repos de la terre. Les prairies artificielles ont été développées. L’étude de la technique se poursuivant, la physique a été mise à contribution : la culture sous châssis ou en serres s’est développée ; l’horticulture est arrivée de nos temps à des résultats merveilleux, bravant à la fois et la nature du sol et le climat. La physiologie et la biologie elles-mêmes appliquées à l’agriculture, ont développé la méthode de sélection des graines et des meilleures conditions d’élevage et de reproduction des espèces domestiques. La culture intensive, aidée par les derniers perfectionnements de la technique agricole, tend à prendre le pas sur la culture extensive. Partout, on cherche à faire rendre au

sol le maximum de rendement, dans le minimum d’espace et avec le moindre travail possible. La glèbe se transforme, et le travail agricole tend à se mettre au niveau du travail industriel.

La vieille ferme, c’était la charrue traînée par des chevaux de labour ou des bœufs, la herse, le rouleau, le tonneau à purin, quelques outils : la faux, le fléau pour battre le blé, etc… Dans la cour de la ferme, purin et fumier s’accumulent, c’est là tout l’engrais. Vieilles méthodes ne pouvant aboutir à un certain rendement que par le travail acharné du prolétaire paysan, peinant de l’aurore au crépuscule, vivant misérablement, éloigné de toute civilisation.

L’agriculture maintenant utilise la charrue polysoc à double effet, mue par une force mécanique dans la grande culture ; la faucheuse-lieuse qui fait le travail de dix hommes, la défonceuse, la trieuse, la semeuse, le concasseur, la batteuse, etc. Il n’est pas jusqu’aux tondeuses mécaniques pour les moutons, et la couveuse artificielle pour la volatile qui n’aient fait un peu partout leur apparition. Les engrais chimiques sont largement utilisés. Méfiants au début par routine et aussi parce que le commerce malhonnête les trompait, les cultivateurs, surtout depuis qu’ils sont entrés dans la voie des syndicats et coopératives agricoles permettant l’achat en commun et en gros, et avec garantie, pratiquent aujourd’hui de plus en plus une politique de fertilisation intensive et méthodique du sol. Marchant parallèlement, toutes les catégories techniques de l’agriculture vont vers le progrès, l’industrialisation des méthodes de travail. L’électricité surtout, pénétrant dans les campagnes, change les conditions de la vie au village.

Il est à noter que la densité de la population, son développement intellectuel, la division des propriétés en pays de grands, moyens ou petits établissements a une répercussion sensible sur la marche du progrès. Les pays à population dense, à moyenne ou même petite propriété (quoiqu’en pensent les marxistes) ont développé beaucoup la culture intensive et sont parvenus à tirer de leur sol de quoi nourrir aussi bien leur population que les pays à population éparse, et à gigantesques établissements (exception faite de l’Angleterre ou les terres sont laissées en friche pour l’amusement des riches, mais où néanmoins ce qui reste de sol utilisé est bien cultivé). Les statistiques officielles pour le rendement à l’hectare de la production du froment donnent pour 1924 : Danemark, 26,6 hectolitres ; Belgique, 25 ; Pays-Bas, 24,4 ; Grande-Bretagne, 22,3 ; Allemagne, 16,3 ; Suède, 15,2 : France, 13,9 ; Russie (pour 1922), 7,3 ; Hongrie, 9,7 ; Roumanie, 6,4 ; États-Unis, 10,8 ; Argentine, 9,7 ; Australie, 10,2. On voit que ces derniers pays, considérés comme les greniers de blé de la planète, ont en réalité un rendement beaucoup moindre que les pays surpeuplés, nommés les premiers.

Il est certain que si tous les progrès techniques étaient appliqués partout à l’agriculture, le rendement du sol serait multiplié dans des proportions encore insoupçonnées. La crainte du manque de vivres pour l’humanité est chimérique et tendancieuse. Ceux qui veulent priver la grande majorité des hommes du bien-être, sous prétexte que les produits feraient défaut s’il fallait satisfaire tout le monde, sont des imposteurs, voulant masquer, derrière un mensonge que la réalité condamne, leurs désirs de conserver leurs privilèges.

La terre, mère et nourricière de l’humanité, est loin d’être épuisée. Par le travail rendu facile grâce au machinisme, par la science pratique humaine, le sol peut donner le confort le plus suffisant à tous. Mais la routine d’une part, et de l’autre l’imbécillité du régime de la propriété individuelle, de la recherche du profit comme seul but au travail plutôt que la satisfaction des besoins, constituent des entraves à l’agricul-