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de son lot, ni qu’il osât le cultiver. Les îlots étaient chargés de la culture. La seule monnaie permise était la monnaie de fer, son poids limitait la richesse.

Ces lois, qui, au dire de Plutarque, faisaient ressembler Lacédémone à un camp, où tout était commun, même les femmes avec leur assentiment bénévole, et où les enfants étaient à la patrie sans qu’elle se souciât de leur filiation régulière, peuvent bien s’être inspirées de Minos : il y avait une grande affinité entre les Crétois et les Spartiates, ― à la bonne foi près, ― mais on comprend que Lycurgue n’ait pas été admis comme Minos et comme Solon au nombre des sept sages ; imitateur, il ne pouvait prétendre à ce brevet, et créateur de servitude à ce diplôme.



Théodose II, empereur d’Orient, entreprit d’amalgamer dans la cuve du droit romain les désirs de l’Orientalisme et les préceptes du christianisme : le droit romain n’avait connu, n’avait prévu ni les uns ni les autres. Cent cinquante ans devaient s’écouler entre l’apparition du Code Théodosien et la prédication de Mahomet ; Clodion était le chef des Francs, mais cinquante-huit ans seulement devaient s’écouler jusqu’à la conversion de Clovis. Il avait fait un rude chemin dans le monde, l’obscur condamné de Pilate, le supplicié dont le souvenir était resté si longtemps perdu, et ce Jésus Christ dont Tibère avait sans doute ignoré le nom et qui devait aux prédications de ses disciples sa véritable résurrection.

Mais l’intérêt de l’œuvre entreprise par Théodose s’efface pour nous devant l’importance de l’œuvre accomplie par Justinien : quatre-vingt-onze ans séparent l’une (438) de l’autre (529). La résolution, la force, la puissance, le cynisme de Justinien ont imposé aux siècles futurs, le Digeste et les Institutes.

Les Francs et les Souverains d’Europe ont exploré ces monuments massifs ; ils y ont cherché les vestiges du droit le plus robuste, le plus logique, le plus rigoureux dans son souci d’équité pour les contrats civils, le plus absolu pour la fondation, la permanence et la continuité de la famille, le plus impérieux pour la soumission du citoyen à la République : le droit romain. Il fallait bien aller chercher sa tradition à Byzance.

Justinien-Erostrate, après avoir fait dépouiller par ses jurisconsultes dont le plus célèbre est Trébonien, ces auteurs qu’un historien moderne appelle les grands classiques du droit, avait fait brûler ce qu’il avait rebuté et ce qu’il avait accaparé, ce qu’il avait réformé et ce qu’il avait démarqué. Ainsi périrent Gaïus, Papinien, Paul, Ulpien.

C’est dans les édifices, construits en pierre et en brique par ce féroce compilateur que nos étudiants, aujourd’hui encore, retrouvent l’architecture du droit romain ; leurs maîtres ont sondé les murs et les caves de cette adaptation pour reconstituer les origines lointaines du droit français.

Féroce, imposant et fourbe, casuiste fervent, croyant tourmenté, obsédé par la thèse, assailli par le scrupule, autocrate et pusillanime, dialecticien, théologien, despote, cynique comme Néron, et parfois réformateur comme Antonin, défendant la doctrine contre un essaim d’hérésies, tremblant pour sa vie que mettaient en péril les séditions, en lutte contre les Ariens, en guerre contre les Vandales, créant l’art chrétien, étendant son empire sur les côtes de la Méditerranée, Justinien ne fut pas un grand législateur, mais un grand pétrisseur de lois. Il atteste qu’il faut comparer, confronter et condenser quand on légifère. La loi doit être une statue de bronze. Nos lois actuelles, nos lois journalières coulent comme de la fonte en fusion.

Comment se sont formés nos Codes ? Pour cette étude importante, il nous faut remonter le cours des siècles.


III


La plus grande brisure qui ait divisé jusque dans ses fondations le monde civilisé s’est produite en 395 à la mort de Théodose, quand l’Orient et l’Occident ont formé deux empires. Lointaine rivale de Rome, la Ville éternelle, Constantinople s’apprêtait à dresser ses minarets sous un soleil nouveau.

La civilisation avait changé de versant. Balayés par l’invasion des barbares, les champs de la culture latine avaient été envahis par la sauvagerie germanique. La race mérovingienne disparut sans éclat avec Childéric III que fit déposer Pépin le Bref.

Lorsque Charlemagne, vainqueur à Roncevaux, fut proclamé à Rome empereur d’Occident, il parut qu’une grande puissance territoriale et morale se reformait. Devant son épée « suspendue aux épaules par un baudrier de cuir », sous sa main qui tenait le globe d’or, ce chef des Francs, qu’il se tournât vers l’Ebre ou vers l’Elbe, vers le sanctuaire détruit de I’Irminsul, élevé jadis à la gloire d’Odin, ou vers le temple de Jupiter que baigne encore l’Arno, vit s’étendre des domaines immenses et des multitudes que dominait sa majesté.

Il assura la renaissance intellectuelle ; il appela auprès de lui les savants, il ouvrait l’École du Palais ; ignorant, il institua le culte des lettres ; mais il eut de mauvaises finances et ne veilla pas aux fondations de son trône. Il était sous le dais de l’Église, il contemplait son empire et ne vit pas qu’il perdait son royaume ; il émiettait son autorité et ses terres aux mains de ces compagnons d’armes, de ces leudes qui se multipliaient et qui grandissaient auprès de lui.

Louis le Débonnaire vit ses propres fils Lothaire, Louis et Pépin se révolter contre lui, Charles le Chauve soutint une guerre fratricide qui lui laissa la France, qui donna l’Allemagne à Louis le Germanique, la Lorraine et l’Italie à Lothaire. Et ce fut, par le traité de Verdun, le démembrement du royaume. L’ambition et le pouvoir des seigneurs, propriétaires terriens, grandissait.

En 861, Robert le Fort demanda et obtint le duché de France à titre héréditaire. Cet exemple ne fut pas perdu.

En 877, un événement capital se produisit. Charles le Chauve se laissa arracher la capitulation de Kiersy sur Oise qui consacrait l’hérédité des fiefs. Il était à la merci des nobles, ayant eu besoin de leur appui pour se faire sacrer deux ans plus tôt empereur d’Occident.

Le système féodal s’est créé au cours de la lutte engagée par Charles le Chauve contre ses frères.

Le système féodal a été consacré par la capitulation de Kiersy.

On parle beaucoup de la féodalité. Il convient de la définir comme état politique et comme système économique. La féodalité consiste essentiellement dans l’asservissement de l’homme à la terre, dans la dépendance dans laquelle l’homme est placé par rapport au domaine sur lequel il vit. Ce domaine est un fief et ce fief a un maître : le seigneur.

La formule « le serf est attaché à la glèbe » n’est pas une locution imagée. Les serfs sont un cheptel de fer attaché comme les animaux au service du fonds. Les êtres humains qui vivent sur le fonds sont assujettis à la loi du fonds. Et le fonds ne leur rendra pas un espoir de liberté plus grande en se morcelant. Grâce à la capitulation de Kersy, le fief restera intégral ; il est héréditaire, c’est-à-dire qu’il passe à l’aîné. Le roi de France, et cette conception s’accuse sous Hugues Capet, est le premier des seigneurs féodaux, mais il n’a droit de souveraineté que, comme les autres, sur les terres de son fief.

Entre les seigneurs féodaux, une alliance et une hiérarchie va s’établir, grâce à leur enchâssement dans l’Ordre de la Chevalerie qui leur impose ses lois quant