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même et perd la tête. Il va chez Malvy et se rend aux raisons de celui-ci. Désormais, il sera derrière le Gouvernement. Il participera, avec toute la C. G. T., à l’union sacrée… Jaurès est enterré le 2 août. Jouhaux se rend aux funérailles. Au nom de la C. G. T., il parle et c’est pour dire : « Comment trouver des mots ? Notre cerveau est obscurci par le chagrin et notre cœur est étreint par la douleur. C’est encore dans son souvenir que nous puiserons les forces qui nous seront nécessaires. »

« Au nom des organisations syndicales, au nom de tous les travailleurs qui ont déjà rejoint leur régiment et de ceux — dont je suis — qui partiront demain, je déclare que nous allons sur les champs de bataille avec la volonté de repousser l’agresseur : c’est la haine de l’impérialisme qui nous entraîne. »

Jouhaux ne partit pas. Je ne le lui reproche pas. Ce que je lui reproche, par contre, ce sont les paroles prononcées sans mandat, au nom des travailleurs non consultés. — La C. G. T. souscrivait à la guerre.

C’en est fait. C’est la capitulation. Le Carnet B n’est pas appliqué. Malvy a gagné la partie. Il convient cependant d’être juste, surtout lorsqu’on est sévère. Si le Bureau Confédéral faillit à ses devoirs, il ne fut soutenu par personne. Partout, ce n’était qu’abdication, enthousiasme pour cette guerre du droit ( ?) Au lieu des cris de À bas la guerre qu’on aurait dû entendre, c’était ceux de À Berlin qui retentissaient. Une immense vague de chauvinisme balayait le pays.

Et comme il est difficile de se reprendre, l’abdication s’aggrava bientôt. Ce fut après Charleroi et la ruée sur Paris, la fuite du Bureau Confédéral à Bordeaux, avec le Gouvernement ; ce furent les Terrassiers de Paris, les sans-travail embauchés par Gallieni pour défendre Paris. Quels tristes événements !

Il faudra près d’un an avant que n’apparaissent les premiers et timides symptômes de l’effort anti-guerrier.

C’est sous les auspices du Comité pour la reprise des relations internationales auquel adhèrent : Merrheim, Bourderon, Chaverot, Sirolle, Souvarine, etc… et, où, Trotsky, encore à Paris, joue un rôle prépondérant, que s’organise l’action contre la guerre.

Merrheim est l’inlassable apôtre de la paix. Accompagné de Bourderon, il se rend à Zimmerwald, en 1915, pour y rencontrer les autres pacifistes européens. Ledebour, y représente l’Allemagne où Karl Liebknecht mène une action pacifiste vigoureuse, en compagnie de Rosa Luxembourg. Grimm représente la Suisse. Lénine représente la Russie.

Cette entrevue est dramatique au possible. Pendant 6 heures sans discontinuer, Merrheim et Lénine discutent pied à pied. Lénine voudrait qu’en rentrant en France, Merrheim déclenchât l’insurrection contre la guerre. Celui-ci lui déclare que c’est impossible, qu’il ne serait pas suivi. Il ajoute qu’il n’est d’ailleurs pas certain de rentrer. Par contre Merrheim croit qu’il est possible d’intensifier l’action pour la paix ; d’amener, sans brusquerie, le prolétariat français à se dresser contre la guerre.

La Conférence de Zimmerwald, si elle ne prit en fait aucune décision, n’en marque pas moins le commencement du redressement du mouvement syndical français. Ce fut aussi la reprise des relations internationales rompues par la guerre. C’est sous le couvert de cette action pacifiste, qui va s’intensifier rapidement, que le syndicalisme se ressaisira.

Bientôt, il prendra figure d’opposition organisée et solidement groupée dans le Comité de Défense Syndicaliste avec Merrheim, Rey, Péricat, Andrieux, J.-B. Vallet et tant d’autres.

La province suit. De graves événements encore mal connus ont lieu à Toulouse où un bataillon se révolte.

Des centres permanents d’agitation se créent à Saint-Étienne, Bourges et Decazeville, sous l’impulsion de Merrheim.

L’action pacifiste s’organise partout et à Decazeville, Verdier applique une formule nouvelle : l’occupation des usines et le fonctionnement de ces usines par les ouvriers.

C’était la bonne. C’est celle-là qu’il faudra appliquer demain, si on veut priver le capitalisme de ses moyens de faire la guerre. C’est cette précision qui manquait à la motion votée à Marseille en 1901, c’est celle que l’Union Fédérative des Syndicats autonomes de France a exposée récemment.

Si cette action n’atteint pas le but indiqué par Lénine — et elle eût pu l’atteindre si l’action révolutionnaire de Decazeville avait été amplifiée et suivie — elle a au moins pour conséquence de fortifier considérablement la minorité syndicaliste révolutionnaire qui combat violemment la majorité.

Des séances tumultueuses ont lieu au Comité Confédéral ou Merrheim et Jouhaux se dressent face à face.

Dumoulin, mobilisé et Monatte également mobilisé, luttent aux côtés de la minorité.

Et c’est l’arrivée de Clémenceau au pouvoir avec sa formule « Je fais la guerre ».

Immédiatement c’est le régime de la brutalité qui s’instaure. C’est aussi celui du mouchardage ignoble avec Ignace et Mandel. Merrheim est appelé plusieurs fois par Clemenceau qui veut le forcer à abandonner son action pacifique. Il ne s’y rend pas et continue sa courageuse besogne.

Enfin, il cessera un jour, sans qu’on sache exactement pour quelles raisons. Et c’est le démantèlement des forteresses de Bourges, de Saint-Étienne, de Decazeville, c’est l’emprisonnement de Péricat et des militants de la Loire et la Conférence de Clermont-Ferrand en 1917, où il semble possible de ressouder les forces confédérales. Hélas ! ce n’est qu’un espoir vite déçu. Mal conseillé, mal entouré, Jouhaux continue son erreur, alors qu’il lui était possible encore de revenir dans la bonne voie. La minorité syndicaliste atteindra son apogée au Congrès de Saint-Étienne que préside Dumoulin, alors détaché à Roche-la-Molière. Puis c’est le retour de Merrheim au bercail confédéral, retour qui sera suivi de celui de Dumoulin, convaincu à son tour dans la nuit qui marque la fin du Congrès Confédéral de Paris en 1918. La minorité a désormais ses chefs de guerre, ceux qui lui montrèrent la route à suivre.

Elle est démantelée, débandée, elle périclite, cependant que la guerre prend fin. C’est singulièrement affaiblie qu’elle se présentera au Congrès de Lyon en 1919 où sera liquidée l’action confédérale pendant la guerre.

Entre temps, pourtant, il y eut quelques tentatives de redressement général. Une grève générale a été décidée pour le 21 juillet 1919 pour faire triompher le programme minimum exposé aux travailleurs parisiens par Jouhaux et Merrheim au Cirque d’Hiver, le 24 novembre 1918.

Qu’était-il, au juste, ce programme minimum de la C. G. T. ?

Faisant siens les 14 points qui constituaient le programme du Président Wilson, que la C. G. T. et le Parti socialiste étaient allés recevoir à son débarquement à Brest, la Confédération Générale du Travail en faisait la base de son action immédiate sur laquelle elle greffait son programme de réalisations essentielles et minimum.

1o  La C. G. T. demandait des conditions de paix qu’elle définissait en 5 points :

a) La Société des Nations pour la libre coopération des Peuples, en vue de faire disparaître la guerre et l’établissement de la justice internationale ;