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val), était à peine plus barbare que la messe actuelle où le sacrifice est réduit à un symbole. Mais cette douceur était l’exception dans les manifestations religieuses.

De la religion primitive et des cultes qui en étaient sortis, les prêtres avaient tiré et développé une théogonie et des dogmes aussi sanguinaires que variés. A la source était Cybèle, la grande déesse de Phrygie, la Rhéa des Grecs, dont le nom changeait suivant les régions. Elle était la mère des dieux, personnifiant les forces naturelles et tout ce qui était utile aux hommes dans les airs, sur la terre et dans ses profondeurs. Elle avait eu des amours tragiques avec Atys, dieu de Phrygie, qui avait été mutilé, tué, puis était ressuscité. Cette légende donnait lieu, chaque année, à l’équinoxe du printemps, à des cérémonies d’où sont sorties celles de la Semaine Sainte des chrétiens. Les cultes de Cybèle et des sous-divinités dépendant d’elle, avaient à leur service une foule variée de prêtres. Suivant les pays, ils étaient appelés corybantes, curètes, telchines, cabires, etc.…, d’après les noms des esprits mystérieux et des dieux en qui chaque peuple voyait ses protecteurs particuliers, ceux des travaux champêtres, ceux de la navigation, ceux de l’industrie, etc… Ces cultes s’accompagnaient de mystères sanglants, d’orgies mêlées de danses. D’après la légende, Cybèle avait appris la danse à ses prêtres. Les attributs de ses thuriféraires étaient à la fois le couteau du sacrifice, les épées, les boucliers et les instruments de musique accompagnant leurs chants et leurs danses. Les curètes, en particulier, se livrant aux danses guerrières ; ils furent les fondateurs des jeux olympiques. Les mêmes curètes sont à l’origine des fêtes dionysiaques comme ayant été les nourriciers de Dionysos. Le culte de Cybèle fit naître, à Rome, les jeux mégalésiens qui comportèrent d’abord des récitations poétiques et les danses des prêtres appelés « Galli ». Aux temps de la décadence, qui virent les scandales des bacchanales, on leur ajouta les jeux du cirque et les taurobolies dans lesquelles on prétend voir les traditions de la tauromachie (voir ce mot), spectacle qui doit, dit-on, nous ramener à la « civilisation latine », comme le « fascisme », sans doute !…

Indépendamment des danses auxquelles ils se livraient dans l’accomplissement de leurs mystères, des prêtres de Cybèle dansaient dans les rues, y disaient la bonne aventure, se livraient à des acrobaties, en demandant l’aumône. Ils ont été les ancêtres des saltimbanques, paladins, acrobates, montreurs d’animaux, et aussi des moines mendiants. D’autres transportaient sur les voies publiques une des formes les plus répugnantes du sadisme de leurs mystères, la coutume des flagellations par lesquelles ils s’entraînaient à ces répugnantes débauches qu’a décrites Apulée dans l’Ane d’or. Des flagellations semblables caractérisaient les lupercales, fêtes de la fécondité. Après les sacrifices au dieu Pan, les prêtres « luperques » couraient à travers la ville en hurlant et en frappant la foule de lanières de cuir. Des femmes enceintes offraient leur ventre à ces coups. C’est de ces manifestations, caractéristiques du délire mystique, que sont sorties les pratiques des flagellants perpétuées à travers les siècles jusqu’à nos jours où viennent de se produire les aventures du curé de Bombon. Une extase particulière était attribuée aux corybantes qui exécutaient des danses armées comme les curètes et les telchines. C’était une autre forme de folie mystique. Elle s’est appelée corybantisme lorsqu’elle s’est manifestée au xvie et au xviie siècle. (Voir plus loin au sujet de toutes ces aberrations renouvelées par le Christianisme).

Comme les prêtres de Cybèle, les prêtres saliens chantaient et dansaient, aux carrefours, pour les fêtes de mars et d’Hercule. Les prêtres d’Isis faisaient de même sous des accoutrements étranges.

Au culte de Cybèle se rattachait particulièrement celui de Déméter, sa fille, symbolisant la fécondité de la terre et que les Romains identifièrent avec Cérès. C’est en l’honneur de Déméter que se célébraient les mystères d’Eleusis, Les bacchantes et les ménades y dansèrent lorsque ces mystères réunirent les cultes dionysiaque et orphique à celui de Déméter. Des fêtes de Cérès sont sorties celles, chrétiennes, des Rogations.

La plupart des mystères et des danses religieuses avaient le caractère orgiaque qui marqua les réjouissances populaires lorsque le culte des dieux devint public, tel, à Rome, ceux de Vitula, déesse de la joie, de Volupia, déesse de la volupté, et de nombre d’autres. Mais les plus grandes réjouissances étaient pour les fêtes de Dionysos, en Grèce, appelé Bacchus à Rome. Les dionysies grecques furent d’abord réservées à des initiés. Les bacchantes, prêtresses de Bacchus, y dansaient accompagnées de chants dithyrambiques. Lorsque les dionysies devinrent populaires, elles comprirent des divertissements champêtres, des banquets, des processions grotesques, des concours poétiques, des danses où les bacchantes se mêlèrent à la foule. Elles conservèrent en Grèce une certaine décence, mais lorsqu’elles passèrent à Rome et devinrent les bacchanales, du nom des bacchantes qui fut donné à toutes les femmes qui y participèrent, elles furent le prétexte d’une débauche sans frein. Tite-Live en a fait la description. Les dionysies eurent une importance très grande au point de vue de l’art. C’est d’elles que sortit le théâtre. La danse antique leur doit ses manifestations collectives les plus caractéristiques dans ses trois formes : populaire, religieuse, dramatique. Le théâtre leur doit en particulier la sicinnis, ou danse des prêtres de Bacchus-Sabazios, et la bacchique.

Les Romains célébraient aussi les saturnales, semblables aux bacchanales par leurs excès. On voit de quelle façon Moreri était justifié quand il parlait de « la gravité des mœurs romaines » ! Les saturnales étaient en l’honneur de Saturne qui avait appris l’agriculture aux peuples d’Italie. Elles duraient plusieurs jours, aux calendes de janvier. Comme les bacchanales, elles effaçaient les distinctions sociales parmi ceux qui s’y mêlaient. Des esclaves prenaient la place de leurs maîtres et on voyait des propriétaires faire remise de leurs loyers à leurs locataires ! Ces mœurs étaient certainement le souvenir d’une époque d’égalité et de communisme qui avait été universelle car on les retrouve chez tous les peuples. Elles sont une sorte de revanche de la justice en faveur des opprimés et, en même temps, une caricature de cette justice que les opprimés sont incapables de vouloir et d’exiger. Le lendemain des saturnales, l’esclave reprenait docilement sa place sous le fouet. Les saturnales antiques se sont perpétuées sous des formes semblables de réjouissances populaires et on en retrouve l’esprit dans le Carnaval d’aujourd’hui. Le carnaval est la seule royauté du peuple appelé « souverain ».

Chez les Druides, le culte avait le même caractère que ceux de Cybèle et de Bacchus. On en retrouve des traces dans les traditions demeurées en Irlande, en pays de Galles et en Armorique. Les sacrifices sanglants, les formes de sorcellerie les plus barbares, étaient pratiqués par les druides. Des magiciennes et des prophétesses y associaient les danses les plus échevelées. « Quelquefois, ces femmes devaient assister à des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint de noir, les cheveux en désordre, s’agitant dans des transports frénétiques » (Michelet). Parmi les prophétesses étaient les vierges de l’île de Sein. Les prêtresses de Nanettes, à l’embouchure de la Loire, étaient mariées mais habitaient seules dans une île et venaient voir leurs maris sur le continent à des époques déterminées. Dans les cérémonies des druides, les Grecs retrouvèrent le culte de Bacchus et les orgies de Samothrace. Leurs rites