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boivent le sang. Aucune hypostase, en effet, ne peut effacer le réalisme de l’Eucharistie, et de la religion catholique tout entière.

« Dieu a fait l’homme à son image », proclame-t-elle.

Il est vrai que Voltaire ajoute : « L’Homme le lui a bien rendu ».

Mais s’il est vrai que l’homme est l’image de Dieu, en le mangeant il dévore son semblable.

Du reste, tous les philosophes ont constaté depuis bien longtemps cette tendance de l’homme à anthropomorphiser même les concepts les plus abstraits : celui de « temps » par exemple. Pour la masse, c’est un vieillard à longue barbe armé d’une faulx. Et nous-mêmes, ne disons-nous pas communément, quand il pleut, quand il neige ou quand il vente : « Ce cochon de Temps ! » comme Guy de Maupassant disait : « Ce cochon de Morin ! » P. Vigné-d’Octon.


ANTHROPOPHAGIE n. f. (du grec antrôpos, homme, et phagein, manger). L’anthropophagie, dont le synonyme est cannibalisme, constitue pour l’homme, l’action de se nourrir avec la chair de son semblable. Il faut distinguer de l’anthropophagie-coutume l’anthropophagie accidentelle, pendant les états de siège, au cours des famines, sur les navires longtemps en détresse, ou morbide comme chez certains aliénés, voire chez des personnes saines d’esprit au temps de décadence morale de civilisations corrompues. Tels, sous l’empereur Commode, les Romains, qui, d’après certains historiens, mangeaient par raffinement de la chair humaine.

L’anthropophagie-coutume chez les peuplades sauvages contemporaines et chez nos ancêtres des temps quaternaires est aujourd’hui un fait historique.

On s’accorde à en rechercher l’origine dans la Guerre et la Religion.

— « Par toute la terre, dit Letourneau, dans son livre remarquable : Science et Matérialisme, les prisonniers de guerre ont servi ou servent encore de pâture aux vainqueurs. À Viti, à la Nouvelle Zélande, on dépeçait les cadavres ; les divers morceaux séparés aux articulations étaient enveloppés de feuilles de bananier et cuits au four océanien.

« Manger les prisonniers était une coutume répandue en Amérique, du Nord au Sud. Le cordelier Thevel qui visita le Brésil vers le milieu du xvie siècle, entendit un chef qui, se comparant au jaguar, se vantait d’avoir mangé, pour sa part, plus de cinq mille personnes. — « J’ai tant mangé, disait-il, j’ai tant occis de leurs femmes et de leurs enfants, que je puis, par mes faits héroïques, prendre le titre du plus grand Mohican qui fut oncques entre nous. »

Et Letourneau ajoute ici : « Oui, bien certainement, il y a tant de façons de comprendre la gloire ! » Si, chez certaines peuplades, on mangeait son semblable vaincu pour satisfaire simplement sa vengeance ou sa gourmandise, ou pour s’approprier certaines de ses qualités comme son courage, en mangeant son cœur ; dans d’autres, la loi ou la coutume condamnait le coupable à être mangé par les gens de la tribu. Si, chez certains peuples, l’anthropophagie fut un moyen hygiénique de sépulture, on peut affirmer aujourd’hui que chez les Mexicains elle fut élevée à la hauteur d’une véritable institution religieuse.

À la boucherie mondiale qui a pour toujours déshonoré le xxe siècle il était réservé de donner un certain regain à cette horrible coutume partout en voie de disparition.

On a signalé, en effet, chez nos troupes marocaines des cas assez nombreux de cannibalisme. Mais il a été reconnu que ceux-ci n’avaient fait qu’imiter les tirail-

leurs noirs recrutés en Afrique occidentale et ayant fait la guerre du Maroc.

Quelques années de vie commune entre les deux contingents avaient suffi pour que les Marocains prétendument assimilés aient emprunté à ces barbares leurs pratiques abominables.

On a signalé dans certains hôpitaux où étaient centralisés les blessés et les convalescents indigènes des tirailleurs marocains qui, ayant coupé, sur les champs de bataille, des oreilles de soldats allemands et les ayant fait boucaner comme du gibier, les mangeaient en supplément de leur ration.

Voir à ce sujet les Pages Rouges, le deuxième volume de la Nouvelle Gloire du Sabre, par Vigné-d’Octon.

P. Vigné-d’Octon.


ANTICLÉRICALISME n. m., se dit du mouvement d’opinion qui s’oppose à la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Dans un sens plus restreint, l’anticléricalisme est un courant, plutôt politique et laïque, destiné à combattre l’influence politique du clergé et l’immixtion officielle des Églises dans les rouages de l’État. Voir les mots : Cléricalisme, Catholicisme, Église, Enseignement religieux, Écoles confessionnelles, Pouvoir temporel, Concordat, Clergé, Libre Pensée, etc


ANTIÉTATISME Contre-Étatisme. Le contraire de l’Étatisme. (Voir ce mot). La négation de l’État. (Voir ce mot.)

La signification générale du mot « antiétatisme » est donc : point de vue reniant l’État. Mais cette définition, trop générale et vague, ne suffit pas. Elle ne spécifie point pour quelle raison, dans quel sens ni dans quelle mesure l’État est renié. Or, l’antiétatisme présente des aspects variés. On peut renier l’État de façon différente. Dès lors, une analyse plus approfondie, plus précise s’impose.

D’abord, personne ne peut nier l’État comme fait, comme une forme historiquement donnée de la communauté humaine. Donc, les antiétatistes de même que les étatistes de toute nature constatent la présence de l’État : les uns et les autres doivent partir, dans leur raisonnement, de la reconnaissance de l’État comme d’une forme de coexistence des humains ayant eu ses origines ainsi que son évolution historique, ayant su se maintenir jusqu’à nos jours. Ce n’est pas sur l’affirmation ou la négation de l’existence de l’État que les conceptions sociologiques et sociales diffèrent, et que l’on est « étatiste » ou « antiétatiste » : c’est sur l’appréciation de l’État, sur la question de savoir comment il faut envisager ce fait, quelle est l’attitude à prendre vis-à-vis de l’État.

Le différend commence lorsque surgissent les questions : a) Sur les origines de l’État : quelle fut la suite des causes qui amenèrent à cette forme d’organisation sociale ? b) Sur son rôle historique : ce rôle, fut-il positif, en général ou sous quelque rapport que ce soit ? fut-il, au contraire, purement et simplement négatif ? L’avènement de l’État, fut-ce une nécessité, un progrès, au point de vue évolution humaine générale, ou simplement une déviation, une régression ? Au même point de vue, l’État, avait-il, a-t-il, au moins une certaine utilité ? c) L’État, est-ce une forme constante de la société humaine — forme qui ne disparaîtra jamais, — ou, au contraire, une forme passagère, destinée à disparaître ? D’autres formes d’organisation sociale sont-elles possibles ? d) L’État, est-ce une institution « au dessus des classes » ou, au contraire, un instrument de domination de classe ? Dans ce dernier cas, quelle est l’essence même de cette domination ? e) L’État, peut-il, oui ou non, servir d’instrument de libération des classes