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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/94

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exploitées et opprimées ? f) Si l’État est appelé à disparaître, disparaîtra-t-il d’une façon naturelle et graduelle, par la voie d’une évolution lente et suivie, ou bien faudra-t-il l’abolir d’une façon brusque et violente, par la voie de la Révolution ? g) Faut-il lutter contre l’État ? Si oui, contre quel État ? Est-ce contre l’État en général ou contre l’État actuel seulement ? La lutte doit-elle être menée en vue de la démolition complète de l’État en même temps que du capitalisme ou bien dans le but de remplacer l’État bourgeois actuel par un État prolétarien ? Un « État prolétarien », est-il réalisable ? Dans la Révolution sociale, dans la transformation sociale imminente et dans la lutte émancipatrice, l’État, est-il une forme utilisable ou reniable ? Quels sont les moyens de lutte contre l’État ?

À toutes ces questions, et à d’autres encore ayant trait au même sujet, les réponses sont différentes. Ceci d’autant plus que les sciences sociales, notamment : l’histoire, la science de l’État, l’économie politique et la sociologie, fournissent peu de matières appréciables à la solution du problème. Toutes les réponses sont plutôt des hypothèses plus ou moins appuyées que des solutions scientifiques.

Un examen plus détaillé de ces réponses sera fait au mot État. Ici, nous ne donnons qu’un aperçu sommaire de divers points de vue, juste afin de démontrer les différents aspects modernes de l’antiétatisme.



Nous avons, tout d’abord, différentes théories de l’État comme forme normale de la Société, de l’organisation sociale. D’après ces théories, les origines de l’État furent d’ordre absolument naturel : l’État devint une nécessité dès que les masses amorphes des premières agglomérations humaines se différencièrent, que les intérêts opposés des individus et des couches diverses de la population se firent sentir, que les luttes, les guerres incessantes s’ensuivirent. À la lumière de ces théories, l’État représente une organisation, une institution positive, placée au-dessus des individus et des classes sociales, appelée justement à niveler, à réconcilier les antagonismes surgissant constamment et fatalement au sein de la Société, à en amortir les chocs, à en diminuer l’effet. L’État est donc, non seulement utile, mais nécessaire au maintien de l’ordre social. Il devient de plus en plus indispensable au fur et à mesure du développement ultérieur de la société humaine et de la différenciation sociale croissante qui en est la conséquence. Plus la Société progresse, plus elle devient compliquée, — plus elle a besoin d’un État organisateur, régulateur, protecteur, réconciliateur… L’État est donc une institution constante : l’unique forme possible de la société humaine civilisée, organisée, ordonnée. Les conceptions et les formes de l’État peuvent varier ; l’État comme tel n’en reste pas moins invariable, précis dans son sens, dans son essence et dans son action.

Tel est, en gros traits, la thèse étatiste, l’étatisme absolu. Il se présente toutefois sous trois aspects principaux différents : 1o la théorie de l’État absolutiste développée et précisée surtout par Thomas Hobbes (1588-1679) ; 2o celle de l’État constitutionnel dont les bases furent établies par Charles Montesquieu (1689-1755) ; et 3o celle de l’État démocratique, esquissée pour la première fois par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). (Pour plus de détails, se rapporter au mot : Étatisme).

Toutes ces conceptions bourgeoises de l’État, en tant que théories, ont aujourd’hui vieilli. Elles ne correspondent plus aux données historiques ni scientifiques nouvellement acquises. Elles ont joué leur rôle surtout comme précurseurs de l’épanouissement prodigieux de l’État au xviiie-xixe siècle. Elles ne sont défendues de nos jours que par les classes et les groupes égoïstique-

ment intéressés. C’est ainsi que l’Étatisme absolu devint finalement et définitivement la conception bourgeoise et conservatrice par excellence.

Il est à remarquer, cependant, qu’il existe actuellement certains éléments bourgeois qui répudient l’État, le critiquent, l’attaquent. Le fait, tout en paraissant bizarre à première vue, se conçoit aisément. Pour faire face à toutes les nécessités, l’État contemporain a besoin d’énormes sommes d’argent. Le budget de l’État moderne est formidable. Les impôts ordinaires, les taxes et charges infligées aux vastes masses obscures de la population ne lui suffisent plus. Il est de plus en plus acculé à « taper sur le bourgeois », à lui demander à son tour des « sacrifices » en échange des services que l’État lui rend. Mais ces exhortations laissent froid le bourgeois qui n’aime pas les sacrifices. Il ne veut pas se démunir du moindre pour cent sur ses bénéfices qu’il considère comme son « affaire privée ». Il devient mécontent. Il « rouspète ». Il se dérobe. D’autre part, afin de pouvoir feindre son souci de l’équilibre, de l’équité, de la justice sociale, afin de pouvoir soutenir sa renommée d’institution « au-dessus des classes », afin de ne pas succomber à brève échéance, l’État bourgeois est obligé de céder quelque peu, ne fût-ce qu’en apparence, à la force toujours croissante des classes laborieuses. Sous leur pression, il est contraint à mettre certain frein à la liberté de l’exploitation capitaliste. Il établit des lois restrictives qui privent le bourgeois d’une partie — oh ! bien insignifiante — de ses bénéfices. Cette tutelle, ce contrôle, si minime qu’il soit, gênent et agacent le bourgeois qui les considère encore comme une ingérence dans ses « affaires privées », ingérence arbitraire et préjudiciable aussi, dit-il, aux intérêts communs, car, d’après lui, elle entrave sa libre initiative, enraie son activité et nuit ainsi au développement de la vie économique du pays. Dégoûté, le bourgeois devient parfois le critiqueur, l’ennemi de l’État, l’ « antiétatiste » sui generis. Il prêche la « liberté individuelle » pour pouvoir exploiter et profiter tout à son aise. C’est de l’antiétatisme bourgeois, égoïstique, stupide.

Il existe aussi une espèce d’ « antiétatisme » par mécontentement de telles ou autres mesures de l’État, ou de ses abus, ou encore des défauts de ses services.

Il va de soi que tous ces genres d’antiétatisme ne sont ni sérieux ni intéressants au point de vue idée, lutte d’émancipation, problème social. Ils n’ont rien de commun avec l’antiétatisme de principe, celui de certaines conceptions sociologiques et sociales.



Dans la deuxième moitié du xixe siècle, des théories se précisèrent qui, tout en affirmant le naturel des origines de l’État, tout en proclamant sa nécessité historique, tout en lui attribuant, au moins durant une longue période historique, une certaine utilité, un certain rôle positif, organisateur, le considèrent néanmoins comme une expression de la violence, comme un instrument de domination.

Ce furent surtout F. Engels (1820-1895) et K. Marx (1818-1883), qui établirent cette théorie. Leurs partisans et continuateurs — les marxistes — formèrent, dans tous les pays, le parti social-démocrate.

La théorie marxiste — et socialiste en général — considère l’État comme un instrument de domination et de dictature de classe. L’État bourgeois moderne est l’instrument de la domination et de la dictature de la classe capitaliste sur la classe laborieuse. Pour l’affranchissement total de la classe ouvrière, celle-ci devra s’emparer de l’État et le transformer en « État prolétarien ». Ce nouvel État sera juste l’inverse : l’instrument de domination et de dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, jusqu’à ce que la résistance de cette der-