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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/112

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pour se rendre compte que l’abstention électorale est le fait, beaucoup plus souvent, de l’indifférence et de la veulerie que d’une volonté d’action systématique. En France même, foyer de la grande Révolution de 1789-1793, l’expérience de plus d’un demi-siècle de république troisième nous offre le spectacle de consultations populaires, où la balance oscille, du conservatisme social pré-réactionnaire au radicalisme bon teint. Le prolétariat insurrectionnel n’est, au sein même de la classe prolétarienne, qu’une minorité d’opposition, et le collectivisme, qui se déclare « pour le progrès dans l’ordre et la légalité », n’est point accueilli sans réserves.

Ces constatations n’infirment point cette donnée évidente : que les idées socialistes, communistes, syndicalistes et anarchistes se sont, depuis la fondation de la première Internationale, en 1865, développées dans le monde d’une façon considérable. Mais elles portent à conclure que le peuple ouvrier et paysan n’est pas, dans son ensemble, aussi ennemi qu’on pourrait le croire des formes sociales actuelles et que, s’il est entravé dans son émancipation, c’est plus encore par son ignorance et ses préjugés tenaces que par les exactions des classes dirigeantes.

Pourtant, même dans les républiques démocratiques, l’État, ce n’est pas l’ensemble de la nation. Dans la tribu primitive, les hommes tiennent conseil pour les décisions à prendre, et ils les appliquent eux-mêmes dans ce qu’ils croient être l’intérêt commun. Abstraction faite de l’opposition, toujours possible, du chef ou du sorcier, c’est le régime direct, avec tous ses avantages, ce qui ne veut pas dire qu’il s’inspire fatalement de sagesse et de douceur. Mais ceci n’est possible intégralement que dans des agglomérations peu nombreuses, avec des moyens de production et de consommation élémentaires, sur des portions de territoire très restreintes. Avec les multiples activités d’une capitale du xxe siècle, groupant plusieurs millions d’habitants, il devient pratiquement impossible à la population entière — trouverait-elle pour cet office une enceinte assez vaste ! — de se réunir en congrès de tous les jours, ou presque, pour discuter et conclure sur les questions, fort nombreuses et diverses, que comporte la vie intense d’une cité moderne. Elle n’en aurait ni la compétence ni le loisir, et serait bientôt lasse de ce labeur en supplément des exigences de la profession. Force est donc bien d’opérer une division du travail, de créer des spécialités, de nommer des délégués, munis de pouvoirs, pour la défense des intérêts des groupes de citoyens qui les ont chargés de les représenter dans les assemblées où se traitent les affaires publiques.

Et, ce qui est vrai pour une grande ville l’est à plus forte raison pour un pays où les habitants se trouvent par dizaines de millions, à la fois solidairement associés pour les besoins les plus variés, et répartis sur des centaines de milliers de kilomètres carrés. Des centralisations administratives s’imposent donc, tout comme il en existe nécessairement pour le ravitaillement, le tri des lettres, les communications téléphoniques, ou la correspondance des réseaux de voies ferrées.

Mais ceci ne va point sans inconvénients : les administrés perdent de vue les principaux de leurs délégués, groupés dorénavant en un point central du territoire. Ces derniers, absorbés par leur fonction, se trouvent dans l’obligation d’attendre d’elle leurs ressources, et contraints d’abandonner leur ancienne profession. Ils forment désormais une caste à part, ayant ses intérêts particuliers, sujette à toutes les tentations que confère le pouvoir. Car leur mandat étant de plusieurs années, pendant lesquelles ils peuvent se livrer

à tous les reniements, sans que le collège électoral ait faculté d’user à leur égard d’une sanction quelconque, leur rôle n’est plus à la vérité celui d’un délégué, mais d’un gouvernant, autrement dit d’un tuteur, muni d’un blanc-seing, lui donnant licence de disposer, non seulement des deniers et domaines nationaux, mais encore, dans une très large mesure, de la personne et des biens de ses pupilles : les simples citoyens.

C’est en raison de cette situation et de tous les abus qu’elle a entraînés que le mot État, qui aurait dû, dans les républiques démocratiques tout au moins, servir à désigner, politiquement parlant, la nation organisée, est employé surtout pour désigner quelque chose qui en est bien distinct, et demeure à chaque instant capable de l’opprimer, tout en s’exprimant en son nom : l’autorité législative.

Mais ces inconvénients ne sont pas tous inévitables. Si la vie d’une grande nation moderne rend nécessaires des centralisations administratives et l’entretien de délégués permanents, cela n’entraîne point qu’ils doivent être bénéficiaires de droits à caractères monarchiques, sur les collectivités qui les ont mandatés. Rien ne s’oppose à ce qu’ils soient, non seulement choisis parmi les compétences que représentent les Fédérations du Travail et de la Consommation, mais à ce qu’ils soient révocables et responsables, au même titre que les gérants d’une entreprise commerciale ou industrielle quelconque.

Dans ces conditions, l’État cesse d’être un organisme superposé à la nation, et dont la puissance arbitraire est faite de l’abdication de celle-ci. Dans ces conditions, l’État représente bien la société organisée par elle-même et pour elle-même et, si des règles imposées par l’évidente nécessité demeurent, du moins ne sont-elles plus l’émanation des conceptions particulières de quelques-uns.

L’État étant ainsi considéré, il apparaît que se comble en très grande partie l’abîme séparant les thèses socialistes et anarchistes, au moins pour ce qui concerne les plans d’une société nouvelle. À la condition, toutefois, que le socialisme ouvre un peu plus au bon soleil et au grand air de la liberté ses lourdes bâtisses à forme de casernes et de couvents. À condition que l’anarchisme renonce à certaines esquisses, un peu puériles, dans lesquelles le devenir et la préhistoire se trouvant confondus, le communisme de grande civilisation des cités de demain se trouve établi sur des bases analogues à celles de quelque village Hottentot où, d’une case à l’autre, on se rendrait bénévolement de petits services. — Jean Marestan.


ÉTERNITÉ. La première question que s’est posée de tout temps l’homme qui pense, qui réfléchit et analyse les causes et les effets est certainement celle-ci : Quels rapports y a-t-il entre moi et mes semblables, entre moi et les bêtes, les plantes, le règne minéral, entre moi et les astres, quel est le lien qui me relie à l’Univers ?

Cette pensée est à l’origine de toutes les religions, dont l’étymologie du mot latin vient du verbe religare, qui signifie lier.

Primus deos fecit timor

L’homme primitif était ignorant et, comme tel, dominé par la crainte — qui rend féroce — des phénomènes de la nature qu’il ne savait pas s’expliquer. Aussi se créa-t-il une religion anthropomorphiste grossière et à l’image de son cerveau rudimentaire.

Dieu naquit de son cerveau sous forme d’un être suprême que son imagination plaça — contradictio in adjecto — au-dessus de l’Univers, créé et gouverné par lui selon sa seule et unique volonté divine et despotique.