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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/111

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ETA
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divine, lui attribuèrent une puissance surnaturelle et surent, finalement, créer une telle force pour se défendre que toute lutte contre ce monstre, ce Léviathan disposant de richesses immenses, religieusement béni par les prêtres, armé jusqu’aux dents, soutenu par des forces organisées de privilégiés, de fonctionnaires, de magistrats, de geôliers, devint impossible. Il finit par s’imposer à un tel point, qu’on crut à sa souveraineté mystérieuse et que toute idée d’un autre système d’organisation sociale disparut pour longtemps de la mentalité humaine.

Ce monstre, ce fut l’État. En tant que la plus formidable société anonyme d’exploitation, et protectrice d’autres sociétés du même genre, quoique de moindre importance, il est une réalité. Mais, rien que comme telle. En tant qu’une organisation supérieure, souveraine, sacrée, inviolable, éternelle de la société humaine, il est une fiction, un fantôme qui sut s’imposer en fétiches.

La propriété, c’est l’exploitation. L’État, c’est la sanction de l’exploitation. Il la crée, il l’engendre ; il est né d’elle ; il vit d’elle ; il la bénit, la défend, la soutient… Il ne fut jamais, ne peut être, et ne sera jamais autre chose. Il est, en outre, un mécanisme : formidable, aveugle, meurtrier, qui étouffe toute activité créatrice libre, tout élan humain vers une vie véritablement humaine.


Après ce qui vient d’être dit, les réponses à d’autres questions concernant l’attitude des anarchistes vis-à-vis de l’État viennent d’elles-mêmes.

L’État est une forme passagère de la Société humaine, destinée à disparaître tôt ou tard.

D’autres formes d’organisation sociale — libres, libérées de la base d’exploitation, donnant tout l’élan à la création — le remplaceront.

L’État étant un instrument d’exploitation, il ne peut jamais, en aucun cas, sous aucune condition, devenir instrument de libération (erreur fondamentale des « communistes »).

L’État ne pourra jamais disparaître par la voie d’une évolution. Il faudra l’abolir par une action violente, de même que le capitalisme.

Il faut lutter à fond, immédiatement, contre l’État, en même temps que contre le Capitalisme. Car ce sont là deux têtes du même monstre, qui doivent être abattues toutes les deux simultanément. En n’en abattant qu’une seule, le monstre reste vivant, et l’autre tête renaît infailliblement.

Les moyens de lutte contre l’État sont les mêmes que ceux de la lutte contre le capitalisme.

L’abolition du capitalisme tout seul et le remplacement de l’État bourgeois par un État prolétarien est plus qu’une utopie : c’est un non-sens. L’État ne peut être que bourgeois, exploiteur. Il n’est pas utilisable dans la lutte émancipatrice véritable. Les masses travailleuses du monde entier finiront par le comprendre et l’expérience bolcheviste est justement là pour le démontrer bientôt, d’une façon palpable et définitive.

La lutte contre le Capital et l’État est une lutte simultanée, lutte unique, qui doit être menée sans relâche, jusqu’à la démolition simultanée et complète de ces deux institutions jumelles.

Ce n’est qu’alors que reprendront leur élan véritable : la Société humaine, la belle vie créatrice, le progrès, la civilisation.

Tel est le point de vue anarchiste. — Voline.

ÉTAT (du latin status ; de stare, être debout). — Situation durable d’une personne ou d’une chose. Telle est la signification générique de ce mot, qui est en usage dans des acceptions très variées. On dit, en

effet : Cet homme est cordonnier de son état. L’état de santé de notre ami inspire des inquiétudes. Son état d’esprit est satisfaisant. Cette peuplade vit à l’état sauvage. Nous avons trouvé la maison en bon état. Nous ne sommes pas en état d’accomplir une aussi rude besogne. Il faut rédiger un état des services de cet homme. Cette personne scrupuleuse fait état des moindres détails.

Au point de vue social, celui qui nous intéresse le plus, il est utile, tout d’abord, de citer, en les expliquant, deux locutions ayant leur place dans l’histoire : les États-Généraux sont une assemblée nationale extraordinaire, composée de représentants de divers ordres ou classes de la société, réunis pour délibérer sur des intérêts communs. Le Tiers-État était, sous l’ancienne monarchie française, le troisième ordre de la société, composé du peuple et de la bourgeoisie, les deux premiers étant constitués par le clergé et la noblesse.

Nous mentionnons pour mémoire qu’un État-major est le corps des officiers généraux commandant une armée ; que l’État Civil est un service public, ayant pour objet d’enregistrer officiellement la naissance, la filiation, les mariages ou divorces, et le décès des habitants d’un pays. Et nous arrivons aux deux sens du mot : État, qui doivent le mieux retenir notre attention :

Politiquement parlant, un État est une importante collectivité d’individus occupant un territoire nettement délimité, régie par des lois particulières, et possédant une autorité chargée de les faire appliquer.

Une société, même nombreuse, ne constitue donc pas forcément un État. Les nations modernes organisées sont des États. Les hordes primitives, les tribus nomades ou sauvages ne sont que des sociétés rudimentaires.

Ce serait une erreur cependant de croire que les sociétés à type primitif, telles les tribus d’Indiens des deux Amériques, ou celles des nègres de l’Afrique Équatoriale, de ce qu’elles ne constituent point des États, sont dépourvues de hiérarchie et d’autorité. Elles possèdent des chefs, ordinairement cruels et despotiques. Le pouvoir religieux y est représenté par les sorciers. La législation, pour ne pas être consignée dans les livres, n’en existe pas moins sous forme de coutumes qui, sauf exceptions, dépassent en arbitraire les dispositions des codes civilisés.

Ce serait une erreur également de croire que toute société organisée, sous forme d’État, représente un peuple d’esclaves, doué des aspirations sociales les plus généreuses, et capable spontanément de réaliser l’ordre le plus fraternel, mais plié sous le joug d’une minorité tyrannique, comprimant par la force tous ses désirs.

Dans les républiques démocratiques, telles la France, les États-Unis ou la Confédération Helvétique, le prolétariat industriel et agricole représente la majeure partie de la population. Pour n’y pas être absolues, les libertés de la presse, de la parole et de l’association n’en existent pas moins, dans une très large mesure. Tous les citoyens, ou presque, y sont admis au vote et, quand ils votent, rien ne les empêche de se prononcer sur un programme plutôt que sur un autre.

Or, dans ces pays à majorités prolétariennes, et où il n’est pas un citoyen qui n’ait été touché — occasionnellement au moins — par une propagande révolutionnaire, à laquelle il avait faculté de s’intéresser, il se trouve que les programmes les plus en faveur sont d’un réformisme très modéré. Qu’il y ait des abstentions nombreuses ne modifie guère le résultat ; il suffit, en effet, de voir les très faibles tirages de la presse anarchiste — la seule qui soit abstentionniste —