Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
EXA
730

mangent de la racine d’une amaryllidacée, ont les os colorés en rouge et perdent leurs sabots. Les larves de grenouilles nourries au corps thyroïde deviennent des grenouilles pygmées, de la dimension de mouches. Tous les éleveurs savent que, pour améliorer une race domestique, il faut commencer par amender et fertiliser le sol où elle pacage.

Mais ce que ne peuvent expliquer ni la différence des milieux, ni les changements de température, ni la quantité de lumière, ni le genre de l’alimentation, ce sont les formations purement ornementales sans aucune portée utilitaire, telles que les décorations complexes, les bigarrures si diverses, les expansions tégumentaires si esthétiques des coquillages, des insectes, des oiseaux, des mammifères. Dans ces cas, le sens de l’évolution se trouve fonction de causes fortuites ou du moins jusqu’ici inconnues.

La loi lamarckienne de l’usage et du non-usage semble, au premier abord, reposer sur des bases indiscutables. En effet, on voit chaque jour les organes viscéraux ou musculaires s’atrophier ou s’hypertrophier suivant l’arrêt ou au contraire l’exercice intensif de leur fonctionnement ; et personne n’ignore les résultats de l’entraînement progressif sur la physiologie des organismes. Et cependant bien des formations tout à fait inutilisées ne disparaissent pas ; beaucoup d’oiseaux ne volent plus et conservent leur empennage complet. Les mutilations pratiquées par les éleveurs, les caractères acquis par les individus sélectionnés et entraînés ne se transmettent pas par l’hérédité, ou dans une si infime proportion que tout autre cause fortuite paraîtrait pouvoir amener la même conséquence. Les naïvetés des premiers évolutionnistes prêtent à rire, et nul ne croit plus que la longueur du cou de la girafe a été obtenue par l’effort héréditaire de ses ancêtres vers une pâture haut placée. A l’inverse, les animaux de basse-cour ont perdu par la domestication l’habitude de voler mais non l’aptitude, puisque parfois une oie domestique prend son essor et va rejoindre une bande d’émigrants de passage (Cuénot).

D’autre part, maints organes : cornes, panaches, ramure, barbe, chevelure ne sont d’aucun usage et persistent indéfiniment, souvent même grandissent. Là encore le transformisme se constate mais ne comporte aucune explication valable dans tous les cas.

L’insuffisance démonstrative de ces interprétations naturalistes et les méthodes de sélection employées par les éleveurs incitèrent Darwin à édifier sa théorie de la sélection naturelle sur la lutte pour l’existence. Pourtant, cette conception n’échappe pas davantage à la critique. Tout d’abord, en prenant l’expression « combat pour la vie » dans son sens large, métaphorique, comme le veut Darwin lui-même (loc. citato, p. 68), dans le sens d’une adaptation générale aux conditions de l’ambiance, on répète simplement sans une autre forme l’opinion déjà émise par Buffon, Geoffroy Saint-Hilaire et Lamarck sur l’influence du milieu cosmique et de l’alimentation. D’autre part, si, s’autorisant de quelques observations sur le monde animal actuel, Darwin a écrit que « la lutte pour l’existence est plus acharnée quand elle a lieu entre des individus et des variétés appartenant à la même espèce (loc. citato, p. 82) », il ne s’ensuit pas que ce facteur d’évolution ait agi dans les débuts de la vie animale sur le globe. À ce moment-là, au contraire, la bataille pour les subsistances ne pouvait se produire à cause de l’abondance de la nourriture ; les végétaux ont apparu bien avant les animaux, puisque ceux-ci, incapables de puiser leurs aliments dans l’air ou dans le sol, devaient consommer ceux-là qui seuls accomplissaient les synthèses nécessaires à la transformation des éléments minéraux en matière organique. A l’aurore des temps préhistoriques, les indi-

vidus et groupes zoologiques étaient herbivores ; et lorsqu’une région était rasée de toutes ses plantes comestibles, la lutte pour le maintien de l’existence se traduisait non par d’inutiles guerres de destruction entre les affamés, mais par une émigration en masse vers les territoires neufs et inoccupés. Cette dispersion sur d’énormes aires géographiques participa puissamment à l’évolution, en amenant les espèces à une adaptation à des milieux nouveaux. Aussi la prépondérance numérique appartient aux herbivores, qui sont troupeaux et légion à côté des quelques familles carnivores.

D’ailleurs, les éleveurs n’améliorent-ils pas les races précisément par la suppression de la plus grande partie de ce combat pour la vie, en leur fournissant une provende abondante et choisie et en les protégeant contre la compétition de leurs congénères et les perturbations nuisibles des climats et des saisons ? Et ici apparaît un facteur d’évolution, entrevu mais négligé par Darwin : l’association pour la vie, dont la domestication est une forme intéressée, créée par et pour l’homme. Il appartenait à Pierre Kropotkine, cette grande figure de l’anarchie, de restituer son immense valeur à la solidarité animale, soutien de la vie sur le globe, et de l’étudier d’une façon magistrale dans son ouvrage intitulé : « L’Entr’aide, un facteur de l’évolution », dont l’introduction renferme les lignes suivantes : « Il était nécessaire d’indiquer l’importance capitale qu’ont les habitudes sociales dans la nature et l’évolution progressive ; de prouver qu’elles assurent aux animaux une meilleure protection contre les ennemis, très souvent des facilités pour la recherche de la nourriture (provisions d’hiver, migrations, etc…), une plus grande longévité et par conséquent une plus grande chance de développement des facultés intellectuelles. » (page 15.) « L’auteur cite ensuite une multitude d’exemples d’association pour la vie, en regard des rares cas de lutte directe entre individus de la même espèce ou entre les espèces voisines citées par Darwin. L’entr’aide ne commande pas toute l’évolution, n’explique pas l’apparition des variations inutiles, ornementales, parfois néfastes ; mais elle domine de très haut la lutte pour l’existence, comme la paix domine la guerre. Les sociétés humaines, comme maintes autres sociétés animales (castors, abeilles, fourmis, termites, etc., etc…) se fondèrent, persistent et se développent par l’exercice de la solidarité et l’usage de la domestication.

Ainsi va la vie ; elle apparaît, évolue, se transforme ; se ralentit par la lutte, accélère sa marche par l’entr’aide, s’épanouit par l’amour. Pourquoi va-t-elle et où va-t-elle ? Qu’importe ! Belle et bonne pour quelques-uns, l’effort commun peut la rendre telle pour tous. L’anarchiste, facteur d’évolution, agit et espère. — Dr F. Elosu.


BIBLIOGRAPHIE

Anglas. — Depuis Darwin. 128 p., Stock, Paris, 1924.

Cuénot. — La Genèse des espèces animales, 558 p., Alcan, Paris, 1921.

Darwin. — L’Origine des espèces. 664 p., Schleicher, Paris.

Delage et Goldsmith. — Les théories de l’Evolution. 371 p., Flammarion, Paris, 1911.

Kropotkine. — L’Entr’aide. Traduction Bréal. 390 p., Hachette, Paris, 1910.

Matisse. — Les Sciences naturelles. 160 p., Payot. Paris, 1921.

Perrier, Remy. — Zoologie, 871 p., Masson, Paris.


EXACTION n. f. (du latin exactio, de exigere, exiger). L’exaction est un abus exercé au nom de l’État et qui consiste à faire payer un impôt, une somme, un droit qui n’est plus dû, ou supérieur à celui réellement dû. Être coupable d’exaction. Un fonctionnaire enrichi par