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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/166

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FAM
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res et du pourcentage de répartition pour en corriger les disproportions ; renouvellement, tous les cinq ans, par tiers successifs (et par l’Assemblée générale) de tous les membres du Conseil de Gérance, avec rééligibilité mitigée ; extension des attributions et contrôle effectif du dit Conseil, participant, aux côtés du Gérant, avec des droits définis, à la direction de l’entreprise ; fixation à dix ans de la durée du mandat de l’Administrateur-Gérant, rééligible seulement, le cas échéant, après une période égale d’interruption ; réorganisation de l’éducation sur des bases modernes et en dehors de principes officiels manifestement en désaccord avec le plan social du Familistère ; prélèvement important sur les bénéfices pour le développement des habitations unitaires ; éditions de vulgarisation des œuvres de Godin et des siens ; commissions d’études sociales et économiques ; création d’un Conseil supérieur chargé d’étudier les directives du fondateur en vue d’adapter à son but social l’orientation de l’Association, etc., etc…

De la présentation, concise mais exacte, que nous avons faite ressortent les vices qui, le fondateur disparu, vont envahir et submerger l’Association. Les facteurs d’intérêt ‒ qu’abrite çà et là le talent ‒ auxquels, dans la crainte de voir l’œuvre périr matériellement, Godin a accordé un rôle exagéré, y conquerront sans peine la prédominance. Le principe même des avantages stimulant et récompensant les capacités ‒ et qu’il regarde comme inhérent à la mentalité humaine ‒ déjà porte en lui la renaissance des suprématies. Elles seront bientôt tyranniques. L’erreur tactique fondamentale est d’avoir, sur les bases de l’importance du mérite, laissé s’établir un tel déséquilibre dans la répartition qu’il équivaut en fait à la consécration savante ‒ et aujourd’hui scandaleuse ‒ de l’injustice et du privilège. Par une graduation qui s’affirme en brutales catégories se trouve remis en suspens ‒ dans l’association comme au sein même des entreprises capitalistes ‒ toute la question de l’inégalité, non seulement en face des risques et de l’effort (qui vont jusqu’à modifier la longévité) mais devant l’abondance et devant la joie, sinon devant les aspirations profondes de la vie. Par la porte inconsidérément ouverte de la participation proportionnelle sont rentrées toutes les tares qui corrompent à la source les régimes d’intérêt et dessèchent jusque dans leur germe les élans fraternels. Cette hiérarchie du profit que, de son vivant, Godin dominait de toute l’envergure de son esprit et de sa belle passion d’idéaliste, a repris d’assaut une place toute préparée. Seule la tenait éloignée, non les institutions, mais « cette idée haute, infatigable, humaine et courageuse » dont parle le Philosophe. Parti ce grand croyant, dont la lumière les tenait dans l’ombre, sont réapparus les démons griffus qui, dans les profondeurs de l’être humain, attendent l’heure ‒ prodigue ‒ de leur règne. Si les « continuateurs » (tout en matérialisme centripète) n’ont pas failli pour l’industrie ‒ une prospérité prodigieuse et comme éclaboussante le dit assez ‒ personne ne s’est levé pour reprendre et projeter, sur l’œuvre, sa pensée comme un flambeau. Godin, apôtre du travail, en menait les vaincus, relevés, sur les pentes du ciel. Ceux-là, sur eux, gouvernent, en tirent des affaires… Dire que, depuis la mort de Godin, le Familistère a duré et évolué dans un sens socialiste serait mentir. On y paie les ouvriers mieux que partout ailleurs pour un travail fatigant. Le titre est une consolation qui vient à point tous les ans. Depuis la guerre, la Société a produit beaucoup et gagné ce qu’elle a voulu… Plus loin que la carence morale des successeurs (d’ailleurs, on apporte en naissant, bien plus qu’on ne l’acquiert, le sentiment aigu et frémissant de l’équité et rares sont ceux qui, nantis

de tous les biens, souffrent plus d’être seuls à les détenir qu’ils ne jouissent de leur possession) plus loin que les fondements vicieux de l’Association, par delà ces statuts inévitablement ‒ étriquer ou périr ! ‒ douloureusement restrictifs, il y a (cause aussi, sinon seule et première) l’incoercible apathie de la masse et son insoulevable inertie…

Revenons à une réalité que Godin connut trop et que les sociologues, après lui, n’ont pas fini de rencontrer. Le Familistère en renouvelle l’exemple. Elle est partout présente dans les œuvres qui tentent d’appeler le peuple au gouvernement de ses affaires et semble bien près d’être irréductible. Elle est faite ‒ et c’est son danger le plus grave ‒ bien moins d’ignorance révisable que d’originelle inertie. C’est cette apathie collective, qui est comme le mal fluidescent des masses et que les plus belles façades de nos espérances adornent en vain de leur optimisme. Les sociétés, tant économiques que politiques, tous les groupements d’action en voient surgir le spectre invariablement régresseur. Elles cèlent le vice inexorable qui fait des plus prometteuses démocraties des monarchies à peine éparpillées, fausse d’autocratisme le règne fallacieux des capacités. Par delà l’apparence de leur contrôle délibérant ‒ à défaut d’activité créatrice ‒ les assemblées sacrifient à quelques individualités volontaires ce pouvoir qu’elles semblent déléguer de leurs voix souveraines. Et s’établit, en fait, cette dynastie des occupants ‒ valeureux ou non, mais prestigieux ‒ qui promènent sur la foule opinante leur sceptre incontesté… Usinier, société administrée, coopérative autoritaire : du maître héréditaire et des chefs irrévoqués aux fonctionnaires inamovibles, tous sont les tenants du règne d’un même capitalisme inébranlé. À part la faible distance du patronat omnipotent ‒ l’Empire ‒ au Conseil dirigeant ‒ ce Directoire, où déjà quelque empereur émerge ‒ où sont, sur le plan de la libération du travail et de sa participation effective et compétente à la gérance de la production, les différences décisives ? En quoi la mentalité sociale de l’ouvrier ‒ je ne parle pas de son bien-être, que peut agrandir, comme pour toute corporation avantagée, une rétribution supérieure ‒ est-elle élargie dans le sens de l’émancipation solidaire et relevé son niveau humain, lorsqu’il gravite, avec la même passivité profonde, dans le cercle inchangé d’un labeur sans pensée ?…

De ce Familistère equ’une pleine existence a péniblement, amoureusement enfanté, que reste-t-il ? L’Association ‒ dans le sens où elle intéresse les sociologues et les penseurs, et Godin lui-même ‒ l’Association est déjà mort-née dans les groupes. Godin le sent, et il le sait quand il dit : « Je suis resté près de vous, travaillant sans cesse à votre seul bien, et vous n’aurez pas su me comprendre. Combien la postérité, qui juge les hommes en dernier ressort s’étonnera de mon isolement et des difficultés qui m’auront assiégé jusqu’au milieu de vous !… Quant à moi, je suivrai ma route, quels que soient les obstacles que j’y rencontre. Je n’en dévierai pas et si je ne puis réaliser avec vous toute l’œuvre que je porte en moi, j’aurai du moins travaillé pour l’avenir et jeté dans le monde des germes féconds qui ne failliront point à porter leurs fruits. » (5 avril 1878). L’Association, il ne fait plus qu’en enfermer le squelette dans les statuts. Jusqu’à sa mort, il lui prêtera sa chair et lui donnera, sous son souffle brûlant, un semblant de vie. Mais, après lui, retombera sur ce cadavre toute la poussière de son rêve…

Du haut en bas de l’échelle des favorisés, chacun fait ‒ ou laisse faire ‒ des affaires. Il s’agit avant tout de produire, afin de beaucoup récolter. Les attentions, comme les agrandissements, vont d’abord à l’industrie. La prospérité entretient l’insouciance, accen-