Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FLA
820

le fisc est l’administration la plus cruelle à l’égard des infortunés. Et il ne semble pas que cela aille en s’améliorant, bien au contraire ; huit ans après la guerre, le fisc se montrait d’une cruauté sans précédent, au point de faire exercer la contrainte par corps à ceux qui ne pouvaient payer les amendes civiles ou politiques auxquelles ils avaient — à tort ou à raison — été condamnés.

Nous ne croyons pas en conséquence, que le législateur puisse apporter un remède à cet état de chose. De tout temps, les lois fiscales ont avantagé les possédants, et il en sera ainsi tant qu’il y aura des lois, des impôts, des imposants et des imposés, des travailleurs et des parasites, des exploiteurs et des exploités, en un mot un régime capitaliste. Les démocrates, les socialistes, les libéraux, peuvent échafauder des monuments de lois fiscales, ils ne changeront rien, sinon les apparences ; car l’égalité économique ne peut sortir d’un parlement. Chaque année, la même comédie recommence dans les assemblées législatives ; chaque année les mêmes paroles sont prononcées et le peuple paie toujours au fisc, à la sueur de son front, pour entretenir le char de l’État. Et il en sera ainsi jusqu’au jour où il fera sauter et le char et le parlement.


FLAGORNER v. On n’est pas exactement fixé sur l’étymologie de ce verbe et de ses dérivés : flagornerie, flagorneur. Peut-être, comme le suppose Littré, la syllabe fla, qui semble se rattacher à flatter, a été une des causes qui lui ont fait prendre son sens actuel. Mais si l’origine du mot est obscure, son sens est bien clair. Flagorner, c’est flatter souvent et bassement. On flagorne quelqu’un. On se flagorne mutuellement avec d’autres.

La flagornerie est un moyen d’exploitation de la vanité humaine. Sont des flagorneurs en puissance tous les complaisants, les courtisans, les flatteurs, les adulateurs « qui vivent de bassesse et d’intrigue » (P.-L. Courier), car, pour réussir, ils sont obligés de répéter de plus en plus souvent et toujours plus bassement leurs complaisances, leurs courtisaneries, leurs flatteries, leurs adulations. « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », a dit La Fontaine. Mis en goût par un premier succès et son ambition grandissant, le complaisant devient facilement un courtisan. Celui-ci, pour arriver, doit être un flatteur, et il ne réussit complètement qu’en se livrant à la flatterie répétée et sans mesure, c’est-à-dire à la flagornerie.

La vanité humaine a des formes nombreuses et étendues. Elle est le fond principal de cette sottise dont la mesure donnait à Renan l’image de l’infini (Voir Sottise). Elle ouvre un vaste champ à la flagornerie. Aussi fait elle que « la société n’est proprement qu’un commerce de mensonges officieux et de fausses louanges, où les hommes flattent pour être flattés » (Fléchier). Dans cette société, la flagornerie trouve des ressources illimitées. Il n’en faut pas moins une certaine adresse pour réussir dans ce métier ; il faut autant de ruse que d’absence de scrupules. Le vaniteux n’est pas toujours un imbécile, un lourdaud qu’on « achète » par quelque grosse flatterie. Il peut être aussi un puissant qui se vengera cruellement s’il voit qu’on s’est moqué de lui. Les flagorneurs les plus marquants se recrutent parmi ce qu’on appelle les « gens d’esprit » ; ils exploitent à la fois la vanité des puissants et la sottise publique. Les puissants sont leurs « patrons », du latin « patronus », comme on appelait déjà dans la Rome antique ceux qui protégeaient ces « parasites » appelés « clientis (clients), hommes à tout faire pour leurs protecteurs », gens de finance et de gouvernement. Ces « gens d’esprit » appartiennent généralement à la corporation aussi nombreuse qu’indéterminée des « gens de lettres » (Voir Lettres). En

raison de la publicité indispensable au plein rendement de leur besogne, ils écrivent dans des livres, revues, journaux, prospectus, et ils pérorent encore plus qu’ils n’écrivent, au parlement, à l’Académie, au théâtre, au radiophone, dans les réunions publiques, partout où ils peuvent avoir un auditoire. Ils flagornent en haut les prétendues élites dirigeantes (voir Élite) ; en bas, la foule ignorante que leur démagogie entretient inlassablement dans l’illusion de sa souveraineté. Ils sont des acarus qui vivent sur les hontes et les misères sociales.

Pour donner l’idée de la flagornerie dans ses variétés, rien ne vaut les exemples dont l’histoire abonde. Un des plus caractéristiques est dans le réseau d’intrigues qui se forma, il y a quelques vingt-cinq ans, autour d’un nommé Chauchard, qui avait fait fortune dans la camelote d’un grand magasin. Ce Chauchard fut certainement l’imbécile le plus intégral de son époque, et une nuée de parasites vécurent de l’exploitation de son incommensurable vanité. Il n’est pas certain que tout ce qu’on a raconté à propos du personnage soit vrai ; c’est en tout cas vraisemblable. On attribue entre autres à certain ministre ce mot renouvelé du danseur Vestris : « Il y a eu trois grands hommes au xixe siècle : Napoléon, Pasteur et Chauchard ». Chauchard crut que c’était arrivé et fit du ministre son légataire universel. Si le mot n’est pas certain, il est digne du ministre qui décora ce calicot enrichi et qui fit entrer au Louvre la collection de « croûtes » appelée « donation Chauchard ». Flagorneurs ministériels et académiques ne manquèrent pas, à ce nouveau M. Jourdain qui, lorsqu’il recevait ces gens, en les payant fort cher, avait l’air d’un maître d’hôtel égaré parmi les invités de son maître. Paris s’amusa fort des funérailles carnavalesques de Chauchard ; mais ce jour-là, ce ne fut pas le « pauvre mort » qui fut le plus grotesque ; la dignité ministérielle et académique laissa son dernier reflet dans cette chienlit.

Comme a dit Larousse : « De tout temps, les princes ont eu des courtisans, les gens en place des complaisants et les riches des flatteurs ». Tous, courtisans, complaisants, flatteurs, furent des flagorneurs. Et Larousse a ajouté : « Capitulation devant les mauvais instincts, perte de tout respect de soi-même, de tout sentiment de pudeur, recours à l’intrigue, à de basses et viles complaisances pour obtenir une fortune et des honneurs. Ce sont là les caractéristiques de ces espèces. »

Les courtisans de Denys le Jeune faisaient semblant d’être myopes comme lui. Ceux d’Alexandre portaient la tête penchée, pour l’imiter. Anaxarque, le philosophe, entendant gronder le tonnerre, disait au même Alexandre : « Fils de Jupiter, n’est-ce pas toi qui as tonné ? »

Philippe, roi de Macédoine, avait perdu un œil ; Clésophus parut devant lui avec un emplâtre sur le même œil. Quand Philippe fut blessé à une jambe, Clésophus boîta.

Un comte de Saxe était si gros que son abdomen débordait sur la table. Ses courtisans se bourraient le ventre de fourrures pour paraître aussi gros que lui.

Un astrologue avait dit à Charles IX qu’il vivrait autant de jours qu’il pourrait tourner de fois sur un talon dans l’espace d’une heure. Tous les matins, ce roi se livrait à cet exercice, et les gens de cour, jeunes et vieux, des généraux, des magistrats, faisaient comme lui.

Le duc d’Uzès répondait à Louis XIV, lui demandant quand sa femme accoucherait : « Sire, quand vous voudrez ! ». Le même, de qui la reine voulait savoir l’heure qu’il était, faisait cette réponse : « L’heure qu’il plaira à Votre Majesté ». Un chimiste du xviiie siècle qu’un roi avait visité, faisant une expérience