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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/213

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FLA
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devant lui, dit : « Sire, ces deux gaz vont avoir l’honneur de se décomposer en présence de Votre Majesté ». Le duc d’Uzès aurait ajouté : « Si Votre Majesté le permet ».

Le maréchal La Feuillade faisait brûler jour et nuit des lampes aux pieds de la statue de Louis XIV, place de la Victoire.

On confondait souvent, au xviie siècle, les mots gros et grand. Louis XIV ayant demandé que l’Académie déterminât exactement leur sens, Boileau lui dit : « Votre Majesté n’a rien à craindre. La postérité distinguera toujours Louis le Grand de Louis le Gros ». Le même Boileau, sous prétexte d’imiter Pindare, écrivit pour flatter Louis XIV l’Ode sur la prise de Namur. On lui doit aussi des vers comme ceux-ci :

Grand roi, cesse de vaincre ou je cesse d’écrire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Puisqu’ainsi dans deux mois tu prends quarante villes,
Assuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t’attends, dans deux ans, aux bords de l’Hellespont.

C’est en vivant dans une atmosphère constante de flagornerie que les puissants de la terre en sont arrivés à croire qu’ils étaient des êtres exceptionnels, issus de la divinité qu’ils représentaient, et comme le plus souvent ils n’étaient que de pauvres hommes physiquement dégénérés, superstitieux, ignorants, inaccessibles à tout sentiment qui n’était pas celui de leur puissance, on comprend qu’ils aient suivi les voies d’une domination sans limites où les poussaient les flatteurs, conseillers criminels, et où ils s’engagèrent presque tous. Ils ne seraient pas longs à compter ceux qui ne rêvèrent pas de gloire militaire et d’un vaste empire, ceux qui ne désirèrent, pas voir toutes les têtes courbées devant leur autorité, ceux dont le caprice admit que quelque chose fût impossible. C’est certainement un flagorneur qui a dit que le mot « impossible » n’est pas français. Dans tous les pays, ce sont les flagorneurs de l’esprit national qui ont créé la sauvagerie nationaliste. Pour en revenir aux puissants, c’est en vain que la nature leur rappelait qu’ils n’étaient que des hommes ayant à satisfaire les nécessités les plus basses, soumis plus que quiconque aux maladies, en raison d’hérédités lamentables et appelés comme tous à mourir, car :

La garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos lois.

Malherbe.

Tout cela ne suffisait pas à leur montrer combien monstrueuse et ridicule était leur prétendue divinité. Ils n’admettaient pas que :

Si grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ;
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes.

Corneille.

On leur prêtait le pouvoir de guérir les maladies contre lesquelles la science humaine était impuissante. Les rois d’Angleterre et de France guérissaient, disait-on, les écrouelles. Voltaire a raconté à ce sujet que le roi Louis XI avait fait venir auprès de lui, pour le guérir des suites de son apoplexie, celui dont on a fait saint François de Paule. Ce saint demanda de son côté au roi la guérison de ses écrouelles. Les deux augures furent aussi impuissants l’un que l’autre à se soulager mutuellement.

Que pouvait-on espérer de raisonnable et de sensé d’un Denys l’Ancien se laissant convaincre par le flagorneur Damoclès, qu’il était plus grand poète que Phrynicus, Stésichore et Pindare ? Il ne pouvait être que ce qu’il fut : tyran de Syracuse. De même d’un Caligula qui fit battre de verges le mime Pâris ne lui répondant pas assez vite que lui, Caligula, chantait

mieux que Jupiter ? Il fut le plus cruel et le plus stupide de tous les empereurs romains.

Aucun roi n’a été aussi bassement flatté, et entouré de flagorneurs si nombreux et si habiles que Louis XIV. L’adulation ne suffit pas de son vivant. Après sa mort, grâce à Voltaire, s’établit la mystification du Siècle de Louis XIV (voir Plutarquisme), qui continue encore aujourd’hui, entretenue et renouvelée par des écrivains d’ancien régime. Intelligence médiocre, âme de cabotin avide de bruit et de flatterie, caractère égoïste jusqu’à l’inhumanité, Louis XIV, comme presque tous les rois, a devant l’histoire cette excuse qu’il fut spécialement dressé pour être un sot malfaisant. On sut remarquablement développer et exciter ses mauvaises passions, étouffer celles qu’il pouvait avoir de bonnes. Lui-même ne put s’empêcher de remarquer que « parmi les courtisans il est beaucoup d’intrigants et peu d’amis ». Il ne sacrifia pas moins les amis aux intrigants. Exemple : la disgrâce de Colbert et la fortune de Chamillard qui devint ministre parce qu’il se laissa gagner au billard par le roi !… Devenu vieux, Louis XIV ne devait pas se faire ermite, comme le diable ; il se livra aux jésuites, ce qui fut pire. Ses courtisans ne purent moins faire qu’en exagérant dans cette voie. Aucune cour n’afficha plus de vertu hypocritement effarouchée en pratiquant plus de vices que la sienne. Elle fut la cour où triompha Tartufe, c’est tout dire.

Cachez ce sein que je ne saurais voir,

disait le saint homme ; il n’en fourrageait que mieux sous les jupes.

Xavier Marmier a vu, à Saint-Pétersbourg, les cahiers d’écriture de Louis XIV enfant. Dès l’âge de cinq ans, on lui faisait écrire, répétées de nombreuses fois, des phrases comme celle-ci : « L’hommage est dû aux rois ; ils font tout ce qui leur plaît ». Louis XIV n’eut jamais une belle écriture, ce qui aurait été indigne de lui, mais on sait comment il fit régner son « bon plaisir ». Plus tard, il devait écrire lui-même pour l’instruction de son fils : « Je possède la fortune de mon peuple en toute propriété. » S’il avait eu une hésitation à écrire ça, son confesseur, le jésuite Tellier, l’eût rassuré en lui apportant cet avis de docteurs en Sorbonne : « Tous les biens de ses sujets étaient à lui en propre ; et, quand il les prenait, il ne prenait que ce qui lui appartenait. »

Si, comme a dit Saint Simon, Louis XIV était né bon et juste, ses éducateurs se chargèrent de lui faire perdre ces qualités, indignes, elles aussi, d’un roi de la tradition. S’il alimenta des échos de ses amours, la chronique scandaleuse du temps, c’est surtout parce qu’il n’y eut autour de lui, parmi les plus grands, que des gens lui offrant leurs femmes ou leurs filles. Un seigneur de Villarceaux, sollicitant une charge pour son fils, proposait en même temps au roi, sa nièce pour maîtresse. Si l’on en croit Dion Cassius, flatteur d’Auguste, le monstrueux privilège appelé droit de cuissage, qui a été un des plus odieux de la société féodale et qui s’exerce encore hypocritement dans la société actuelle, aurait été établi par flatterie pour les puissants, et ne résulterait nullement de leur violence. L’origine en serait dans le droit que le sénat de Rome aurait offert à César « de coucher avec toutes les dames qu’il daignerait honorer de ses faveurs ». La mentalité des courtisans de Louis XIV, entremetteurs de la prostitution des femmes de leurs maisons, confirme l’exactitude de cette explication du droit le plus révoltant.

Il n’était pas de sentiment de dignité, d’honneur ou d’amitié qui résistât chez les courtisans devant la possibilité d’une quelconque faveur. Un duc de Gesvres était un des intimes du surintendant Fouquet. Quand le roi fit arrêter ce ministre, il en chargea d’Artagnan. Le duc de Gesvres pleura de douleur, non de la disgrâce-