Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FOI
824

baisse. S’emploie au propre et au figuré. La fluctuation d’un liquide ; la fluctuation des idées, des opinions. Agitation, variation, alternatives. La fluctuation des changes. Tant dans le domaine social que dans le domaine politique, économique, ou dans le domaine des idées, la guerre a ouvert une ère de fluctuation. Les peuples de la vieille Europe occidentale croyaient, en 1914, avoir atteint au suprême bonheur et se reposaient dans la quiétude. Les quelques incidents provoqués périodiquement par la lutte des classes ne troublaient pas profondément les esprits et chacun vivait avec cette certitude que c’en était fini des calamités et des catastrophes qui avaient ravagé les générations antérieures. La guerre est venue, le rêve s’est effacé et la réalité brutale est apparue aux yeux de tous. Cette lumière a désorienté le monde. Les formules de 1913 paraissent aujourd’hui erronées et, à la recherche de formules nouvelles plus adéquates à la crise née du désaxage universel, l’individu subit moralement, intellectuellement, politiquement et socialement les fluctuations d’une période troublée. Où allons-nous ? Devant la force et la puissance des événements, nous sommes entraînés dans un tourbillon, et il n’est pas toujours facile de reconnaître sa route. La Révolution russe, en laquelle les classes travailleuses du monde entier avaient placé toutes leurs espérances, a subi un recul formidable depuis 1918 ; elle aussi fut soumise à une quantité de facteurs économiques et moraux qui influèrent sur sa stabilité, et les fluctuations qu’elle traversa, qu’elle traverse encore, ne sont pas sans créer une certaine agitation dans les esprits. Chacun aujourd’hui, quelles que soient ses aspirations, est à la recherche de la vérité. L’individu est perdu. Il ne sait où s’arrêter, à qui s’attacher, à qui se confier. Balloté de droite et de gauche, il regarde, il tâtonne, brûlant le soir ce qu’il adorait le matin, combattant aujourd’hui ce qu’il défendait hier, et il suit le mouvement de fluctuation, prenant ainsi part à la danse furieuse qui s’est emparée de l’humanité. La période que nous traversons est révolutionnaire et c’est pourquoi nous assistons à tant de fluctuations. Le Capital, ou plutôt les capitalistes, ne sont pas moins désorientés que les travailleurs. La guerre a transformé le monde et la victoire du capitalisme s’avère incomplète et provisoire. Or, le capitalisme sait fort bien qu’une victoire incomplète est pour lui un danger, et dans la terreur d’une révolution détruisant tout un passé de vol et de brigandage, il cherche ses assises afin de pouvoir mener de front la lutte contre le prolétariat.

En la circonstance, profitant des alternatives de hausse et de baisse que subit le capitalisme, des fluctuations et du déséquilibre de l’état social, il serait heureux que les classes opprimées et asservies ne perdissent pas leur sang-froid. Certes, le problème est complexe, et il est compréhensible que l’homme sincère soit troublé devant la grandeur des événements. La révolution ne se fait plus aujourd’hui à coups de fourches et de pelles. La révolution moderne n’est pas une Jacquerie. Le capitalisme est outillé, puissamment organisé pour la bataille, il possède des armes d’élite, une armée formidable, autant de facteurs dont il nous faut tenir compte, qu’il nous faut étudier afin de n’être pas pris au dépourvu lorsque la lutte se manifestera violente. Ce sont tous ces problèmes qui provoquent des fluctuations dans les idées des masses laborieuses, et il n’y a pas lieu de s’étonner si les anarchistes, eux aussi, ont un mouvement sujet à fluctuations. Chaque jour apporte quelque chose de nouveau, et chaque jour, nous sommes donc contraints de réviser notre manière d’agir. L’application des anciennes méthodes de lutte ne répond plus aux nécessités présentes, et il est souvent difficile de concilier ses sentiments, ses aspirations avec les besoins pressants de la bataille. Mais qu’importent les fluctuations, si toujours et sincèrement on travaille pour

atteindre le but poursuivi ! Lorsque l’heure viendra et que nous serons, de gré ou de force, jetés dans la mêlée sociale, unis dans le même désir, malgré les divergences idéologiques, les anarchistes useront de toute leur énergie pour mettre fin à un régime d’opprobre et d’autorité.


FOI n. f. (du latin fideo, engagement, lien). La foi est la croyance, la confiance aveugle en quelque chose. La foi religieuse ; mourir pour la foi ; croyance aux vérités de la religion. « La foi, dit Lachâtre, est la croyance que les faits et les préceptes présentés par les religions sont vrais et viennent de Dieu. Cette croyance n’est pas raisonnable, le plus souvent même elle est stupide, puisqu’elle admet des faits et des idées que la raison humaine ne peut jamais vérifier et que, très souvent, elle démontre être absurdes. Le musulman qui a la foi croit, par exemple, que Mahomet a fait un trou dans la lune lors de son voyage dans le ciel ; le chrétien, à ce propos, se rit de la bêtise du sectaire arabe ; à son tour, le chrétien qui a la foi croit que saint Denis porta sa tête entre ses mains, après avoir été décapité, chanta un cantique et fit une lieue dans cet état ; mais le fidèle mahométan trouve aussi que le chrétien n’a pas le sens commun. Comme on le voit la foi, théologiquement parlant, est une adhésion irréfléchie de la croyance à tout ce qui plaît aux prêtres d’enseigner. »

Disons de suite que la foi religieuse repose sur l’ignorance et que c’est sur cette ignorance que se sont échafaudées toutes les religions. La foi est un sentiment aveugle, qui ne se résiste pas à l’analyse et que refuse de discuter celui qui la possède. L’Église agit du reste intelligemment en interdisant toute discussion des articles de foi. La discussion, c’est la porte ouverte à la clairvoyance et au doute, et le doute c’est l’ébranlement de la foi. La foi, quelle que soit la religion qui l’inspire, suppose la croyance en un être suprême, supérieur, infaillible, qui préside aux destinées des hommes et est fondée en ce qui concerne les religions monothéistes sur la théorie de la révélation. Quelle est cette théorie ? Salomon Reinach nous l’enseigne brièvement dans son étude critique des religions : « En donnant l’être à nos premiers parents, Dieu leur enseigna par lui-même ce qu’ils avaient besoin de savoir ; il leur révéla qu’il est le seul créateur du monde, en particulier de l’homme ; qu’ainsi il est leur seul bienfaiteur et leur législateur suprême. Il leur apprit qu’il les avait créés à son image et à sa ressemblance, qu’ils étaient par conséquent d’une nature très supérieure à celle des brutes, puisqu’il soumit à leur empire tous les animaux. Il leur accorda la fécondité par une bénédiction particulière, et il fut bien entendu qu’ils devaient transmettre à leurs enfants les mêmes leçons que Dieu daignait leur donner. Malheureusement, les hommes, à l’exception d’un très petit nombre de familles, furent infidèles aux leçons divines et, abandonnant le culte d’un Dieu unique, tombèrent dans les égarements du polythéisme. Toutefois le souvenir d’un si haut enseignement ne se perdit pas entièrement. Ainsi s’explique que l’idée même d’une divinité tutélaire se retrouve, sous des formes diverses, chez tous les peuples. Ce n’est pas aux lumières naturelles de la raison, mais à la révélation seule que l’humanité est redevable de la connaissance de Dieu et de la religion ». Doctrine étrange, ajoute Reinach, qui a cependant pour elle l’autorité de tous les grands théologiens de l’Église.

Si l’on accepte les principes d’une telle théorie, si peu scientifique, rien d’étonnant à ce que l’on accepte également toutes les stupidités de certains dogmes. Si la promulgation de la loi mosaïque sur le mont Sinaï, si le long pèlerinage des juifs et leur séjour de quarante ans dans le désert semble une invraisemblance pour l’esprit éclairé, si l’histoire de la manne et des cailles qui tombent du ciel pour nourrir le peuple élu de Dieu paraissent inadmissibles à l’être sensé, cela est tout