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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/230

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FRA
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« valeur nominale ». Elle n’a plus rien de supérieur quant à la marchandise qu’elle doit aider à écouler mieux. Pendant que les marchandises subissent des dépréciations de toutes sortes (elles diminuent de poids, de qualités, sont rongées, pourrissent, occasionnent des frais d’emmagasinage, etc.), la monnaie-or (monnaie capitaliste) rapporte au contraire. Avec la monnaie franche qui se déprécie lentement, mais sûrement, tout le monde, par pur intérêt (ô, comme l’égoïsme est bienfaisant !) cherchera à se procurer des marchandises (la production s’amplifiera), pour éviter la perte sur la valeur nominale de son bien monétaire. Le taux de dépréciation nominale est de 5 %, car l’histoire nous montre que ce taux de 5 % ou à peu près, a été toujours la condition capitaliste depuis de longs siècles. La forme de la monnaie franche est ou bien tabellaire (les taxes de dépréciation respectant la valeur nominale est indiquée sur le billet aux différentes dates, par exemple chaque semaine ou quinze jours), ou bien elle porte des carrés avec dates hebdomadaires ou de quinze en quinze jours, dans lesquels seront collés des timbres équivalant à la dépréciation nominale. C’est surtout l’expérience qui décidera laquelle des deux formes sera la meilleure. Le jeu des agioteurs, etc., sera fini ; qu’ils amassent la monnaie franche (ce qui ne va pas sans pertes préalables) et ils n’auront encore rien de gagné, car l’office monétaire, sous le contrôle de tous les intéressés, — et ce sont les producteurs et les consommateurs — n’aura qu’à émettre plus de monnaie ou augmenter le taux de dépréciation (ce qui accélère la vitesse de circulation). Lorsque les ennemis des producteurs, c’est-à-dire les défenseurs du revenu sans travail voudront déverser leur stock de monnaie franche, afin de déclencher une crise économique, leur tour sera déjoué, du moment que l’office monétaire retirera la quantité nécessaire de billets (le ralentissement de la circulation par baisse du taux de dépréciation agit aussi dans ce sens).

Par la monnaie franche il n’y aura plus de chômeurs en dehors de ceux qui ne voudront pas travailler, et ces derniers ne pourront exister. Un autre bienfait économico-social sera l’usage de payer comptant (pour éviter la perte), rabaissant ainsi les frais de commerce et augmentant de ce fait le revenu du travail. La monnaie franche ne sera donc plus « capital » ou « moyen d’économie », mais la possibilité d’économiser ne sera pour cela point du tout enlevée, bien au contraire. Aujourd’hui l’ouvrier qui porte la moindre somme d’argent à la banque et qui reçoit de l’intérêt contre, est-ce qu’il sait qu’il vole le surplus à lui-même et aux camarades ? Ne devrait-il pas le faire ? L’homme est égoïste, est intéressé ; alors, inutile de le blâmer d’une qualité qui lui est naturellement innée ! Oui, on peut aussi et mieux économiser en économie franche, car le revenu du travail étant intégral et les marchandises moins chères, l’on peut placer ses épargnes dans des entreprises ou bien les porter à la banque, où seront vendus des titres (obligation). Pendant que la monnaie diminue en valeur le pécule en banque gardera sa valeur nominale. Aujourd’hui on distingue à la Bourse des papiers valeur « al pari » (pair) au-dessus ou au-dessous du pair, c’est-à-dire la valeur nominale de 500 francs, par exemple, peut rapporter à la vente en Bourse soit 500 francs (au pair), soit moins ou plus (suivant le cours « au-dessous ou au-dessus du pair » ). Le même papier peut subir d’énormes « changements de valeur ». La banque, en économie franchiste, délivrera des papiers à valeur nominale, c’est-à-dire qu’ils porteront l’intérêt du jour, mais ne baisseront jamais au-dessous de la valeur nominale, et celle-ci garde toujours sa puissance d’achat par les opérations de l’office monétaire, c’est-à-dire par le nombre indice constant.

À mesure que l’économie franche sera sortie du gâchis

social (dettes, etc.) occasionné par le capitalisme, à mesure baissera le taux d’intérêt pour descendre à zéro. Cela veut dire à mesure que baissera le taux d’intérêt en économie franche, à mesure augmentera la somme du bien-être des franchistes. Les sommes formidables que doivent verser annuellement les contribuables ne sont englouties qu’en infime partie (que les révolutionnaires réfléchissent bien) par l’administration, le militarisme, les constructions de voies de communications, écoles, etc. C’est le capitalisme-rentiérisme qui dévore la plus grosse part sous forme de rentes et intérêts sur capital, sur les dettes publiques. L’État est une bonne vache à lait et fait en même temps encore les services de garde champêtre. Et qu’est-ce que c’est que l’État en somme ? Les dettes publiques ne sont pas à ignorer par l’économie franche, du moins tant qu’elle n’est pas générale ; mais un impôt unique dans le pourcentage nécessaire sur les valeurs mobilières y remédiera.

Pour les relations internationales, il faudrait encore quelques mesures spéciales, dont se chargera l’Association internationale de cotisation, mesures très simples et efficaces, cependant, pour plus de détails, il faudrait consulter la littérature physiocrate déjà nombreuse. Je peux à peine dessiner ici le plus saillant du revenu intégral sur travail, eu égard à la place limitée d’une Encyclopédie.

Terre fFranche (sol et sous-sol avec richesses naturelles). — L’introduction de la monnaie franche ne sera qu’une œuvre imparfaite sans « terre franche ». Le sol et sous-sol avec ses richesses naturelles est directement la seule possibilité à l’existence humaine et de ce fait nous avons comme « terriens » un droit absolu à la « terre ». Cependant le droit romain met notre existence entre les mains des propriétaires privés. Les bienfaits par la monnaie franche seront accaparés en grande partie par le rentiérisme si nous ne faisons pas table rase de ce côté-ci. La terre (à entendre tout ce qui n’est pas créé par l’homme) doit être reconnue propriété collective, avec droit absolu pour chaque humain d’en profiter. La rente foncière ne pouvant disparaître entièrement, elle sera socialisée ou collectivisée et l’exploitation du sol et sous-sol passera aux mains privées par voie d’enchère publique. La rente foncière ne peut être abolie parce que la terre est restreinte, c’est-à-dire nous ne pouvons augmenter la quantité de sol disponible. Celle-ci est régie par l’offre et la demande. La demande va naturellement en s’accentuant avec la population croissante et la rente en sera plus forte. Pour anéantir la rente foncière, il faudrait anéantir les avantages naturels des différents terrains, enfin toute culture et civilisation — c’est absurde ! Si l’on ne peut détruire la rente foncière, on peut du moins lui enlever le pouvoir de rendre les hommes esclaves, justement par l’abolition de la propriété privée, en la transformant en « rente de mères ».

Les mères du pays la recevront proportionnellement au nombre d’enfants qu’elles auront à élever. Ce droit de rente pour un enfant pourra aller jusqu’à l’âge de 16 ans de celui-ci. Les mères ont un droit naturel sur cette recette, vu que la naissance des enfants est le facteur qui garantit et augmente aussi la rente foncière.

Les propriétaires fonciers actuels ne peuvent être punis pour leur position, car ce n’est pas eux qui ont créé cet état de chose, ils en profitent seulement. Les déshérités ne valent en rien mieux qu’eux — que feraient-ils à leur place ? Il ne s’agit donc pas ici d’un vol aux propriétaires actuels au profit des autres citoyens ; ce serait changer le titre de propriété privée quant au nom du possesseur ; non, le sol franc sera constitué par voie de simple expropriation. Des obligations à valeur nominale (voir plus haut sous monnaie